tag:blogger.com,1999:blog-12156501654371808152024-03-13T14:20:11.637+01:00La culture générale en fiches de lectureChaque semaine, une fiche de lecture portant sur un ouvrage de sciences humaines, d'histoire ou de littérature.100 fiches de lecturehttp://www.blogger.com/profile/08519664916714893544noreply@blogger.comBlogger10125tag:blogger.com,1999:blog-1215650165437180815.post-33689436368205561152015-06-08T08:47:00.000+02:002015-06-08T08:52:14.748+02:00Philippe Ariès, Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen-Age à nos jours (1975)<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’auteur</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Marqué
par des influences traditionalistes et conservatrices, Philippe Ariès
(1914-1984) grandit dans une famille catholique et royaliste. Il
étudie chez les jésuites et milite quelque temps au sein des
« Lycéens et collégiens de l'Action française ». Il
écrit notamment dans l'<i>Étudiant français</i>, magazine des
étudiants de l'Action française, auquel participe également Claude
Roy, Raoul Girardet, Robert Brasillach, Pierre Gaxotte ou encore
Pierre Boutang. Il s'éloigne progressivement de l'Action Française
qu'il juge « nationaliste et autoritaire » alors que lui
se définit « traditionaliste » et sensible au modèle
anarchique et royal du dix-neuvième siècle.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Ayant en
outre échoué à l'agrégation, Philippe Ariès connaît une
reconnaissance limitée en France mais bénéficie d'un écho
international dès la publication de son ouvrage <i>L'enfant et la
vie familiale sous l'Ancien Régime en France</i>, publié en 1960 et
traduit en anglais. Ce n'est qu'en 1977, lorsqu'il intègre l'École
des Hautes Études en Sciences Sociales en tant que directeur
d'études, qu'il obtient de ses pairs la reconnaissance du statut
d'historien.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Fondant
ses travaux sur la démographie historique, Philippe Ariès est l'un
des créateurs de l'histoire des mentalités, en rupture avec la
domination alors de l'école des Annales et de son obsession
économiste.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’ouvrage</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Dans ses
Essais sur l'histoire de la mort en Occident, Philippe Ariès donne à
voir la mort non pas comme un simple phénomène naturel, figé,
physiologique, mais comme un événement sociologique crucial, chargé
de sens, de représentations conceptuelles, symboliques et morales
qui conditionnent nos comportements face à lui. Au travers de
l'histoire de la mort – qu'il faut comprendre comme étant une
histoire des mentalités – Ariès propose une lecture des mutations
sociales, psychologiques et morales qui s'opèrent dans les sociétés
occidentales du Moyen-Age à nos jours.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Ariès
s'est interrogé sur la mort après avoir mené une étude sur la
famille. La famille est en effet souvent présentée comme une
réalité ancienne menacée par la modernité ; or Ariès
souligne le fait qu'il s'agit en réalité d'un phénomène récent
et lié à une étape décisive de cette modernité. N'en est-il pas
de même pour la mort ?</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
L'ouvrage
tend à défaire le lecteur d'un certain nombre d'idées reçues au
sujet de la mort et met en évidence des conceptions différentes et
concurrentes de la mort au fil du temps. Notre conception actuelle de
la mort n'est en effet pas forcément celle que l'Occident a toujours
connue.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
La
lecture que Philippe Ariès nous donne de la mort à travers les âges
procède d'une grille d'interprétation qui place au centre de son
analyse la naissance de l'individu moderne, la prise de conscience de
soi, de l'individualisme et sa progression comme facteur
d'explication majeure des évolutions des mentalités et des
attitudes face à la mort.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
L'enjeu
de ces <i>Essais</i> réside dans la question de savoir comment et
pour quelle raison s'est opéré le passage d'une familiarité avec
la mort – mort « apprivoisée »,solennelle, affaire de
la collectivité – à une mort devenue innommable, refoulée,
cachée, médicalisée, face à laquelle sentiments d'angoisse et de
solitude prédominent. Pour Ariès, ce renversement des sentiments et
des idées ne doit pas s'analyser comme le fruit d'une coupure
brutale entre Anciens et Modernes, mais comme le résultat de
nombreux changements lents et progressifs au cours des siècles.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Les
attitudes devant la mort</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Historiquement,
la mort était un phénomène totalement accepté et qui n'était pas
craint. Les charniers se trouvaient en pleine cité et hommes –
commerçants, jongleurs etc. – les côtoyaient sans s'en émouvoir.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Le
mourant ne fuyait pas mais au contraire prenait ses dispositions, se
préparait sans tomber dans le drame. La mort n'était pas un
déchirement. C'était une chose familière, proche, atténuée,
indifférente. La mort était un processus ritualisé jalonné par
différentes étapes : le regret de la vie, la demande de
pardon, la prière et l'absolution. La cérémonie était publique,
ouverte à tous, famille, enfants, voisinage, etc. La mort était
acceptée tant par le mourant que par les tiers qui assistaient à sa
fin.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>La
mort de soi</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
L'attitude
face à la mort évolue avec l'individualisation des sociétés.
Apparaît alors la représentation du jugement dernier qui consiste
en la séparation des bonnes et mauvaises actions devant une Cour de
justice qui a pour but d'évaluer la vie du mourant. Une lutte
cosmique entre le bien et le mal prend place autour du lit du
mourant. À partir des quatorzième et quinzième siècles, apparaît
l'idée selon laquelle l'homme revoit toute sa vie défiler.
Parallèlement, le cadavre devient un objet artistique et littéraire.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Par
ailleurs, à partir du douzième siècle, la préservation de la
mémoire du défunt – et donc de son individualité – devient une
priorité. Cette volonté provient avant tout du défunt qui
organise, par la rédaction d'un testament, l'entretien de sa
sépulture de son vivant et achète des services religieux pour le
salut de son âme. Le mourant et se proches s'assurent que le corps
sera enterré au plus près de l'église et de ses saints.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>La
mort de toi</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Entre le
seizième et le dix-huitième siècle, la mort est dramatisée. Ce
phénomène conduit les individus à s'intéresser à la mort de
l'autre, qui n'est plus indifférente.
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Dès le
seizième siècle, apparaît une nouvelle vision de la mort. Elle est
d'abord perçue comme une transgression, ce dont témoigne son
érotisation – la mort devient une transgression tà l'instar de
l'acte amoureux. Un nouveau rapport entre la mort et la famille est
établi : modification du rôle des testaments qui se laïcisent,
volonté de rester dans les mémoires, confiance accrue envers les
proches pour la prise en charge du défunt etc. Un vrai travail de
deuil doit être accompli par la famille. C'est le point de départ
du refoulement de la mort.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Apparaît
un véritable culte des tombeaux et des cimetières. Il devient
intolérable d'entasser les morts en raison de considérations de
santé publique mais aussi par respect de la dignité du défunt. Le
fait de se soucier plus de l'âme – messes post-mortem, sépultures
entassées dans les cours des églises sous prétexte qu'elles
doivent être au plus près des saints et des prêtres qui
officiaient pour le salut des âmes – que du corps est critiqué.
Désormais, le cadavre est enterré chez soi ou dans les cimetières
publics afin de pouvoir se recueillir. Ce lieu appartient à la
famille qui peut se souvenir de l'être perdu.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
A partir
du dix-neuvième siècle, survient l'émotion autour du lit de mort.
Les rites classiques demeurent, mais deviennent des automatismes et
perdent leur caractère central dans la cérémonie. Ce qui est mis
en avant, c'est la douleur des proches.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>La
mort interdite</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Depuis
trente ans, la familiarité de la mort a disparu, celle-ci devenant
honteuse et tabou. Les signes de cette évolution sont nombreux. Par
exemple, on cache la mort aux enfants en leur disant que le défunt
est ailleurs ; alors qu'il y a quelques décennies le sexe était
tabou et la mort familière aux enfants, on leur parle plus
facilement de sexe que de mort, et on leur interdit l'accès au lit
du mourant. En outre, on prétend épargner le malade en lui
dissimulant sa mort proche. Enfin, les rites s'effacent : le
lieu du décès n'est plus le domicile mais des lieux médicalisés,
on ne présente plus ses condoléances à la fin de la cérémonie,
les tenues noires disparaissent.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Richesse
et pauvreté devant la mort au Moyen-Age</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Dans la
première moitié du Moyen-Age, qu'il concerne des pauvres ou des
riches, le rituel de la mort était en tout point similaire. Dans la
seconde moitié du Moyen-Age, cette égalité devant la mort cesse.
Sur le lit de mort du plus riche apparaît le Jugement particulier.
Le démon présente au mourant tout ce que la mort menace de lui
ravir, qu'il a possédé et follement aimé pendant sa vie. S'il
accepte d'y renoncer, il sera sauvé et s’il veut les emporter dans
l'au-delà, il sera damné. Il s'agit de renoncer à une passion
avide de la vie, des êtres comme des choses, qui passent pour le
détourner de Dieu. Ce sentiment explique les cas de riches marchands
qui abandonnent la plus grande partie de leurs biens au monastère où
ils s'enferment en attendant la mort ou qui faisaient de multiples
legs aux hôpitaux, églises et ordres religieux. Ce phénomène
entraîne une reconnaissance des moines qui consacraient alors aux
défunts des tombeaux visibles et des épitaphes élogieuses. Les
testaments des riches défunts prévoyaient qu'en échange de legs,
les moines devaient faire des messes régulièrement pour le salut de
leur âme.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Huizinga
et les thèmes macabres</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Ariès,
s'inspirant de l'historien Huizinga, analyse ici les thèmes macabres
par périodes. Ainsi les douzième et treizième siècle se
caractérisent par le refus d'exposer le mort, de montrer son visage
– mais l'usage des masques mortuaires traduisent paradoxalement une
volonté de réalisme.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Aux
quatorzième et quinzième siècle c'est moins la mort qui effraie
que la possibilité d'une damnation. L'homme du Moyen Âge assimile
destruction physique et impuissance. La mort, familière devient
émouvante non pas par elle-même mais parce qu'elle traduirait
l'échec dans la vie.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Du
seizième au dix-huitième siècle, l'évocation de la mort est
réaliste. La mort est devenue un objet de fascination, d’érotisme
macabre et de morbidité – étude des cadavres, conservations des
corps disséqués, ces pratiques ayant même lieu hors des écoles de
médecine, à titre privé.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Au
dix-neuvième siècle, la mort fait peur et l'on cesse de représenter
le défunt – répugnance pour la mort, le cadavre. La menace de la
mort effraie tout comme la crainte d'être enterré vivant.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Le
thème de la mort dans <i>Le chemin du paradis</i> de Maurras</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>Le
chemin du paradis</i><span style="font-style: normal;"> est </span>un
conte philosophique publié en 1895 dont l'un des grands thèmes est
celui de la mort. Lorsque Maurras écrit cet ouvrage, il est âgé de
vingt-cinq ans et obsédé par la mort. Il aime alors la mort mais
son rapport à celle-ci change en avançant dans l'âge.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Les
miracles des morts</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Dès la
seconde moitié du dix-huitième siècle sont évoqués les « dangers
des sépultures ». Cette peur s'installe en deux temps :
d'abord, on pense que les cimetières sont habités par le démon, le
diable, les âmes damnées, en raison des manifestations des cadavres
en décomposition – odeurs, émanations toxiques, bruits etc. –
perçus comme des signes de présence maléfique. Puis les progrès
en sciences et en médecine amènent le souci de salubrité,
d'hygiène alors que les cimetières sont perçus comme des sources
d'épidémie.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Du
sentiment moderne de famille dans les testaments et les tombeaux</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
La
naissance du sentiment moderne de la famille – au sens large,
c'est-à-dire toute la maisonnée dont les parents, les enfants, les
domestiques etc. – modifie certains aspects du rapport à la mort.
Ainsi le testament de spirituel devient-il matériel : le
mourant fait confiance à sa famille pour entretenir sa sépulture et
son salut ; il ne rédige donc plus des clauses pieuses, mais
utilise le testament comme moyen de répartir ses biens. Par
ailleurs, les sépultures prennent un caractère familial avec le
développement de chapelles et caveaux familiaux.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Contribution
à l'étude du culte des morts à l'époque contemporaine</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
À partir
du seizième siècle, sous l'influence de la Réforme catholique et
des progrès médicaux, la piété du Moyen Âge est critiquée :
on remet en cause l'entassement des défunts dans les cloîtres et
les églises ainsi que leur contact trop proche des vivants. On
éloigne les cimetières des villes.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>L’évolution
des attitudes devant la mort dans les sociétés occidentales</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
La mort a
aujourd'hui de nouveaux visages : nouvelles maladies – cancer
– nouveaux intervenants – personnel médical – nouveaux lieux –
hôpital. Le refus du deuil s'accroît ; la mort devient le
principal interdit moderne : toilettes funéraires pour masquer
les apparences de la mort, accroissement du nombre d'incinérations
pour faire disparaître plus vite possible le cadavre. C'est aux
États-Unis qu'apparaissent de nouveaux rites funéraires, par
exemple les techniques chimiques de conservation du corps.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
A partir
des dix-neuvième et vingtième siècles,un nouveau rapport avec la
maladie et la santé apparaît. La mort est médicalisée,
l'espérance du traitement palliatif de la mort voit le jour, le
médecin se substitue à la famille. Selon Ariès, tout cela
contribue à frustrer le malade de sa propre mort.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Le
mourant ne sent plus sa mort venir. Les personnels soignants et les
médecins savent, et établissent une « dying trajectory »
que seul le patient ignore. Selon Ariès, « la mort a reculé et
elle a quitté la maison pour l'hôpital : elle est absente du
monde familier de chaque jour. L'homme d'aujourd'hui, faute de la
voir assez souvent de près, l'a oubliée : elle est devenue
sauvage et, malgré l'appareil scientifique qui l'habille, elle
trouble plus l'hôpital, lieu de raison et de technique, que la
chambre de la maison, lieu des habitudes de la vie quotidienne ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Pendant
le dernier demi-siècle, les historiens, les spécialistes des
nouvelles sciences de l'homme se sont dérobés, autant que l'homme
vulgaire, à une réflexion sur la mort. En France nous semblons
encore au creux de l'interdit. La société prolonge le plus possible
la vie des malades mais ne les aide pas à mourir. Les mourants n'ont
plus de statut et par conséquent, plus de dignité.
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
La
famille abandonne son choix de décider d'une prolongation de la vie
à un médecin, quitte à se retourner contre lui plus tard et que le
patient soit dépossédé de lui-même. Le médecin décide selon
trois critères : l'humanité qui pousse à abréger les
souffrances ; la considération de l'utilité sociale de
l'individu – jeune ou vieux, célèbre ou inconnu, digne ou
dégradé ; l'intérêt scientifique du cas.</div>
100 fiches de lecturehttp://www.blogger.com/profile/08519664916714893544noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1215650165437180815.post-76400528019399621112015-06-01T09:01:00.000+02:002015-06-01T09:02:04.107+02:00Freud, Malaise dans la culture (1929)<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’auteur</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Sigmund Freud naît en
1856 à Freiberg – ancienne Moravie aujourd'hui en République
Tchèque – dans une famille juive. Il fait des études de médecine
puis, diplômé en 1881, se spécialise en neurologie, sous
l'influence notamment des professeurs Charcot et Bernheim.
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Il crée une méthode
originale de l'exploration de l'inconscient basée sur la parole
cathartique – libre association des images, des souvenirs des idées
permettant de décrypter les significations inconscientes de conduite
ne s'expliquant pas par la logique du conscient, notamment les rêves,
lapsus, oublis et symptômes névrotiques comme l'angoisse, la
phobie, l'obsession. À partir de ces travaux, limités à l'origine
aux hystériques, il bâtit ensuite la psychanalyse, méthode de
psychologie clinique basée sur l'investigation des processus
psychiques profonds, en s'appuyant en partie sur sa propre
expérience. C'est ainsi que la mort de son père, survenue en 1896,
lui permet de mettre en évidence le principe du refoulement.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
L'ensemble de la théorie
freudienne repose sur deux postulats qu'il appelle « topiques ». La
première topique date de 1915. Elle se base sur une division de la
vie psychique en trois instances : l'inconscient – dans lequel sont
refoulées les pulsions les plus asociales – le pré-conscient –
où s'expriment certaines pulsions ayant passé la barrière du
refoulement comme les rêves – et le conscient – où la vie
psychique s'exprime par des lapsus, des oublis, des actes manqués
etc. La seconde topique date de 1920. Elle met en évidence les
différents rapports entre les trois instances de la vie psychique:
le « ça » – le principe de plaisir : désirs et
passions – le « moi » – principe de réalité – et
le « sur-moi » – les interdits de la vie sociale, la
morale.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Les principales œuvres
de Freud sont : <i>L'interprétation des rêves</i> (1900), <i>Cinq
leçons sur la psychanalyse</i> (1910), <i>Totem et tabou</i> (1913)
et <i>Introduction à la psychanalyse</i> (1916).</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’ouvrage</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Sigmund Freud écrit la
première édition de <i>Malaise dans la culture</i> – traduit
aussi par <i>Malaise dans la civilisation –</i><i> </i>en 1929.
Emprunte d'optimisme, cette première édition est amendée en 1929
par Freud qui donne à la seconde version de l'essai une tonalité
plus pessimiste, ce changement de ton étant lié entretemps à
l'arrivée des nazis au Reichstag.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Freud présente le
<i><span style="text-decoration: none;">Malaise dans la culture</span></i>
comme un livre traitant « de la culture, du sentiment de
culpabilité, du bonheur et d'autres choses élevées du même genre
et me semble, assurément à juste titre, tout à fait superflu quand
je le compare à mes travaux précédents qui procédaient toujours
de quelques nécessités intérieures ».
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Freud établit en effet
un parallèle entre le processus de civilisation et le développement
psychique individuel. Il prend à témoin l'Histoire et notamment les
temps de guerre pour montrer que la guerre, comme le rêve, opère un
« déshabillage moral », une levée de la censure morale qui permet
un retour de toutes les pulsions agressives normalement refoulées
par les contraintes et les codes sociaux.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Freud traite donc de la
culture la définissant comme « la somme totale des
réalisations et dispositifs par lesquels notre vie s'éloigne de
celle de nos ancêtres animaux et qui servent à deux fins : la
protection de l'homme contre la nature et la réglementation des
hommes entre eux ». De cette définition, Freud en déduit que la
culture est édifiée à partir du renoncement pulsionnel, la vie en
commun supposant une restriction de la liberté individuelle. Ce
respect des exigences sociales est assuré au niveau individuel par
le père puis le surmoi, et au niveau collectif par la culture, qui,
comme la morale et la religion, tente de légitimer et d'assurer le
renoncement au plaisir égoïste. La tension entre le moi et le
sur-moi, entre l'égoïsme et l'altruisme est source du sentiment de
culpabilité, accru par la vie en commun.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Chapitre 1.
Explication de l'origine de besoin religieux: angoisse et besoin de
protection</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Au début de l'ouvrage,
Freud s'interroge sur le besoin de religiosité, qu'un de ses amis
décrit comme « un sentiment océanique ». Il initie sa réflexion
en s'interrogeant sur le rapport du moi au monde extérieur, en
partant du nourrisson, qui exprime un fort besoin de protection
paternelle. Ainsi, ce sont les sentiments de « désaide » infantile
– <i>Hilflôsigkeit </i><span style="font-style: normal;">–</span><i>
</i>de désir pour le père chez l'enfant et d'angoisse de l'adulte
devant la puissance du destin, qui sont à la source du besoin
religieux: « ce sentiment n'est pas une simple prolongation de la
vie enfantine mais est conservé durablement du fait de l'angoisse
devant la surpuissance du destin ».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Chapitre 2. La
finalité de la vie humaine : le bonheur. Comment l'atteindre?</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La vie est insupportable.
La souffrance provient de trois côtés : le corps, le monde
extérieur et autrui. La finalité de la vie étant le bonheur, Freud
propose trois remèdes principaux : une diversion puissante pour
oublier la misère ou y attacher peu d'importance – par exemple, le
travail – des satisfactions substitutives qui diminuent la misère
– par exemple, l'art – et enfin des stupéfiants qui nous rendent
insensibles à la misère.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Néanmoins, Freud conclut
à l'absence de solutions universelles – par exemple, l'homme
érotique privilégie les relations à autrui, l'homme narcissique
qui privilégie ses propres satisfactions et l'homme d'action son
influence sur le monde extérieur – et met en garde contre les
dangers d'une technique exclusive : « il y a […] de nombreuses
voies qui peuvent mener au bonheur, tel qu'il est accessible à
l'homme, il n'y en a aucune qui y conduise à coup sûr ».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Chapitre 3. Définition
de la culture</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
« Sont culturelles
toutes les activités et valeurs qui sont profitables à l'homme en
mettant la nature à son service ou en le protégeant des autres
hommes », par exemple l'utilisation du feu. Toutefois, la culture ne
peut être réduite à l'utile, elle touche également à la beauté.
Ainsi la propreté est-elle utile mais l'utilité n'explique-t-elle
pas totalement la tendance à la propreté.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Par ailleurs, Freud met
en évidence que l’hostilité à culture est une névrose – le
refus du monde tel qu'il existe – et peut en partie expliquer la
naissance du christianisme – qui formule la promesse d'un monde
meilleur dans l'au-delà.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Chapitre 4. Les
origines de la culture et les facteurs déterminant son évolution</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
L'amour est la base de la
culture parce que la vie en commun est fondée sur l'amour dont Freud
distingue deux formes : l'amour originel – homme-femme – et
l'amour inhibé quant aux buts – frères-soeurs-amis.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
L'amour semble dans un
premier temps s'opposer à la culture : d'une part, l'amour s'oppose
aux intérêts de la culture car il éloigne l'homme de la chose
publique et crée une cellule, la sphère familiale, qui s'oppose à
la communauté ; d'autre part, la culture menace l'amour de
restrictions sensibles – par exemple, l'interdiction de l'inceste,
de la zoophilie etc.
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La culture se développe
en deux phases : tout d'abord le totémisme, qui implique
l'interdit du choix d'un objet incestueux – « le choix d'objet est
réduit au sexe opposé, la plupart des satisfactions</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
extra-génitales sont
interdites comme perversions » ; puis le tabou, la loi et la
coutume.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Chapitre 5. Culture et
Eros</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La culture lie de manière
libidinale les membres de la communauté les uns aux autres. En
effet, l'autre « est si semblable à moi que je peux m'aimer
moi-même en lui ». Néanmoins, il n'y a aucun intérêt à aimer
l'étranger. Il est absurde et impossible d'aimer l'autre comme
soi-même car l'homme est un loup pour l'homme. « L'existence de ce
penchant à l'agression (...) est le facteur qui perturbe notre
rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la
sienne ». Freud en profite alors pour critiquer le communisme qui,
en voulant supprimer la propriété ne résout pas, à son avis, le
problème de la tendance humaine à l'agression.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Chapitre 6: Eros et
Thanatos</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Freud met en lumière les
forces antagoniques habitant l'homme et qui s'affrontent dans un
combat sans fin : Eros – c'est-à-dire la tendance à
rassembler les êtres vivants en unités grandissantes, en liant les
individus par leur libido – et Thanatos – la pulsion d'agression
et de mort, qui tend à détruire l'Eros. Freud identifie la culture
comme un combat vital, un processus au service de l'Eros.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Chapitre 7. La culture
comme surmoi collectif, le sentiment de culpabilité</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La culture, en tant
qu'éducation, permet d'intérioriser l'agressivité de l'homme et de
la diriger contre soi. Comme la personne est scindée entre le moi et
le surmoi, deux instances qui s'opposent – le moi est soumis au
surmoi représentant le père – il existe au sein de chaque
individu une tension que Freud appelle « la conscience de
culpabilité » et qui se manifeste chez l'homme comme un besoin de
punition. Ce conflit est, de plus, attisé par la culture et la vie
en communauté.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Freud s'attache à
analyser ce besoin de punition et cette conscience de culpabilité.
Selon lui, la personne frappée de malheur se reconnaît coupable de
quelque chose, et donc, pour se punir, s'impose des pénitences. En
outre, être frappé d'un malheur signifie que l'on n'est plus aimé
de ses parents, et qu'il faut donc regagner leur amour en s'inclinant
devant la toute-puissance paternelle. Il s'ensuit donc un renoncement
aux pulsions afin de ne pas perdre l'amour de l'autorité parentale,
ce qui devrait logiquement effacer le sentiment de culpabilité.
Cependant, le renoncement ne suffit pas, parce que l'intention de mal
agir subsiste et apparaît au surmoi, ce qui pousse à la punition.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Chapitre 8. La morale,
sur-moi de la culture</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Freud insiste sur le fait
que le sentiment de culpabilité est le frein le plus important au
développement de la culture. « Le sentiment de culpabilité n'est
au fond rien d'autre qu'une variété topique de l'angoisse », il
s'agit tantôt d'une angoisse consciente – la maladie – tantôt
d'une angoisse inconsciente ou possibilités d'angoisse – le
malaise. Les religions surviennent avec la prétention de guérir
l'humanité de ce sentiment de culpabilité qu'elles appellent péché.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Chronologiquement c'est
d'abord la conscience de culpabilité qui apparaît – elle existe
nécessairement avant le sur-moi et donc avant la conscience morale
car elle est l'expression immédiate de l'angoisse devant l'autorité
externe et devant l'autorité interne, le sur-moi – puis le sur-moi
puis la conscience morale. Chaque sorte de refoulement peut avoir
pour conséquence un accroissement du sentiment de culpabilité car
l'empêchement de la satisfaction érotique suscite un penchant à
l'agression contre la personne qui trouble la satisfaction et c'est
cette tendance à l'agression qui se mue en sentiment de culpabilité.
Donc « si une tendance pulsionnelle succombe au refoulement, ses
éléments libidinaux sont transposés en symptômes, ses composantes
agressives en sentiment de culpabilité ».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Freud opère un
rapprochement entre le développement de l'individu et celui de la
culture. La communauté produit, elle aussi, un sur-moi, sous
l'influence duquel s'effectue le développement de la culture. Ce
sur-moi-de-la-culture a ses exigences qui se manifestent sous la
forme de l'éthique, tentative thérapeutique, effort pour atteindre
un commandement du sur-moi. Il s'agit d'écarter le plus grand
obstacle à la nature, le penchant naturel à l'agression. D'où le
commandement « aime ton prochain comme toi-même ». Toutefois,
l'éthique se soucie trop peu du moi et il est évident pour Freud
que ce commandement est impraticable – « une inflation aussi
grandiose de l'amour peut seulement en abaisser la valeur ». Cette
éthique, dite naturelle n'a donc ici rien à offrir si ce n'est la
satisfaction narcissique d'être en droit de se considérer comme
meilleur que ne sont les autres » si l'on parvient à s'y conformer.
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
L'éthique, qui s'appuie
sur la religion fait intervenir ici ses promesses d'un au-delà
meilleur. Toutefois, l'éthique prêchera en vain tant que la vertu
ne trouvera pas récompense sur cette terre. Freud en est persuadé :
« les jugements de valeur des hommes sont dirigés
inconditionnellement par leurs souhaits de bonheur, ils sont donc une
tentative pour appuyer leurs illusions par des arguments ».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Freud s'interroge alors :
peut-on parler de « culture névrosée »? La réponse ne semble pas
évidente car si pour la névrose individuelle le point d'appui est
le contraste par lequel le malade tranche sur son entourage supposé
normal, il est impossible de réaliser un diagnostic collectif
considérant la normalité d'une situation de référence. En outre,
de quel secours serait l'analyse la plus pertinente de la névrose
sociale, puisque personne ne possède l'autorité pour imposer la
thérapie de masse? ». Il semble dès lors impropre de parler de «
conscience collective ».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En conclusion Freud
s'interroge sur le destin de l'espèce humaine : dans quelle mesure
son développement culturel réussira-t-il à se rendre maître de la
perturbation apportée à la vie en commun par l'humaine pulsion
d'agression et d'auto-anéantissement ? Cette question revêt un
relief particulier à l'heure où les hommes dominent tellement la
nature qu'ils peuvent s'exterminer les uns les autres jusqu'au
dernier.</div>
100 fiches de lecturehttp://www.blogger.com/profile/08519664916714893544noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1215650165437180815.post-1756297428130783972015-05-25T10:35:00.000+02:002015-05-25T15:36:58.114+02:00André Gide, L'immoraliste (1902)<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L'auteur</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
André Gide (22 novembre
1869 – 19 février 1951) est né et mort à Paris. Fils unique de
Juliette Rondeaux et de Paul Gide, professeur à la faculté de
droit, d'origine protestante, il perd son père en octobre 1880 alors
qu'il n'a pas encore douze ans. Gide est alors très affecté par
cette perte. Durant son enfance, André Gide est principalement
entouré de femmes – sa mère, Anna Shackleton, gouvernante de sa
mère et confidente d'André Gide, les domestiques, sa tante et ses
trois cousines. Gide se révèle un enfant fragile et doué qui ne
supporte que très difficilement l'environnement scolaire.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
A la fin décembre 1882,
Gide découvre l'inconduite conjugale de sa tante Mathilde et les
souffrances que cela occasionne chez sa cousine Madeleine, plus âgée
de lui de trois ans, ce qui lui fait prendre conscience des
sentiments qu'il éprouve pour elle.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En octobre 1888, Gide
étudie la philosophie au lycée Henri IV et sympathise avec Léon
Blum. L'année suivante, avec ses amis Pierre Louis, Marcel Drouin et
Maurice Quillot, il fonde la <i>P</i><i>otache-revue</i> où il
publie ses premiers vers.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Durant l'année 1893,
André Gide connaît un bouleversement important, tiraillé entre son
éducation austère et puritaine et ses tendances homosexuelles.
Ainsi, lors d'un voyage en Afrique, connaît-il sa première
expérience homosexuelle et rompt avec son puritanisme. En 1895, il
se fiance malgré tout avec sa cousine Madeleine Rondeaux. Le mariage
est célébré début octobre 1895.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En 1897, Gide participe
régulièrement à <i>L'</i><i>Ermitage</i> et ceci jusqu'en 1906,
date de la disparition de la revue. En 1898, suite à l'article dans
<i>L</i><i>'Aurore</i> de Zola, « J'accuse », André Gide
prend parti pour les dreyfusards. En février 1900, André Gide
commence à collaborer à la <i>R</i><i>evue Blanche</i>.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Le 15 novembre 1908,
paraît le numéro zéro de la <i>Nouvelle Revue Française </i>qu'il
fonde avec quelques amis – Michel Drouin, Jacques Copeau, Henri
Ghéon, Eugène Montfort, André Ruyters et Jean Schlumberger. Cette
revue impose peu à peu une école de la rigueur et du classicisme
avec des écrivains comme Gide lui-même, Proust ou Martin du Gard
par exemple.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En 1909, commence la
parution de la <i>Nouvelle Revue Française</i>. Gide publie <i>La porte
étroite</i> qui paraît en volume en mai au Mercure de France.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En 1912, André Gide
voyage en Italie où il écrit <i>Les caves du Vatican</i>. En 1914,
Gide se fâche avec son ami Paul Claudel qui est choqué par un «
passage pédérastique » des <i>Caves des Vatican</i>. Le livre
obtient un grand succès. En 1916, Gide entre dans une longue crise
religieuse et morale qu'il relate dans le <i>C</i><i>ahier vert</i>
sous le titre « Numquid et tu... ? ». Cette année là,
sa femme découvre la vie secrète de son époux. En 1918, il annonce
à sa femme qu'il ne désire plus vivre avec elle.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En 1922, Gide passe l'été
en compagnie du couple Van Rysselberghe et leur fille Elisabeth qui
lui donne une fille le 18 avril 1923. Il ne l'adoptera qu'en 1938
après la mort de son épouse Madeleine.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En 1925, Gide succède à
Anatole France à la « Royal Society of Literature » de Londres
mais il en sera exclu suite à ses prises de positions
pro-communistes. Gide s'intéresse de plus en plus à l'U.R.S.S. et
publie dans la <i>Nouvelle Revue Française</i> des fragments de son
journal révélant son intérêt pour la cause du communisme et sa
sympathie pour Staline. En 1934, il entre au Comité de vigilance des
écrivains antifascistes. En 1936, il est invité par le gouvernement
soviétique et prononce sur la Place Rouge à Moscou un discours. En
1938, le dimanche de Pâques, Madeleine décède.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En 1940, le 14 juin il
approuve dans son journal l'allocution du maréchal Pétain mais le
24 juin, il se rallie au général De Gaulle. En 1941, Gide rompt
avec la <i>Nouvelle Revue Française</i> entrée dans la voie de la
collaboration. En 1947, il est reçu Docteur Honoris Causa de
l'Université d'Oxford et le 13 novembre il reçoit le Prix Nobel de
littérature.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Gide décède quatre ans
plus tard le 19 février 1951. Les obsèques religieuses ont lieu, à
la demande de la famille de son épouse, à Cuverville.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
André Gide est l'auteur de : <i>L'immoraliste </i>(1902), <i>Le
retour de l'enfant prodigue</i> (1907), <i>La porte étroite</i>
(1909), <i>Souvenirs de la Cour d'Assises</i> (1914), <i>Les caves du
Vatican</i> (1914), <i>La symphonie pastorale</i>
(1919), « Numquid et tu... ? » (1922), <i>Les
faux-monnayeurs</i> (1925), <i>Le journal des faux monnayeurs</i>
(1926), <i>Les nouvelles nourritures</i> (1935), <i>Pages de Journal
1939-1942</i> (1944), <i>Souvenirs littéraires et problèmes actuels</i>
(1946), <i>Le procès</i> (1947), <i>Anthologie de la Poésie
française</i> (1949).</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>Résumé</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Michel, jeune érudit de
milieu puritain, historien, épouse Marceline, après la mort de son
père, pour satisfaire à sa dernière volonté. Ce mariage est sans
amour.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Lors d'un voyage qui
conduit le jeune couple en Tunisie, Michel commence à souffrir de
tuberculose et une crise particulièrement violente le laisse entre
la vie et la mort. A partir de ce moment là, Michel, qui avait
négligé son corps en faveur de l'étude, entame une métamorphose
progressive qui commence par une négation de l'esprit au profit du
corps, corps qu'il se force à nourrir et à exercer pour le sortir
de la maladie. Cette métamorphose se poursuit par une remise en
question de tout ce qui lui a été inculqué dans sa jeunesse:
l'austérité protestante de sa mère, le goût pour un passé qu'il
trouve à présent figé et sans intérêt et plus généralement la
morale et la culture, culture qui pour lui étouffe l'instinct
primitif de vie. Il guérit progressivement en voyageant à travers
l'Afrique et retrouve en même temps que la santé le goût de la vie
et du plaisir.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Cette libération
sensuelle va de pair avec l'affranchissement de tout conformisme. Il
entretient une relation protectrice avec un jeune Arabe enclin au
vol, dont il admire l'absence de sens moral. Il cherche à cultiver
et exalter cette disposition.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Michel veut en effet voir
triompher la vie, cette vie qu'il manque de perdre, et peu à peu sa
transformation fait de lui un immoraliste, un homme qui ne vit que
pour satisfaire ses pulsions immédiates au détriment du reste, et
surtout de sa femme Marceline qui en paie le prix ultime.
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
De retour en France, le
couple s'installe en Normandie où Michel se repaît des vices des
paysans : « j'en venais à ne goûter plus en autrui que les
manifestations les plus sauvages, à déplorer qu'une contrainte
quelconque les réprimât. Pour un peu je n'eusse vu dans l'honnêteté
que restrictions, conventions ou peur […] J'ai les honnêtes gens
en horreur. Si je n'ai rien à craindre d'eux, je n'ai non plus rien
à apprendre. Honnête peuple suisse ! Se porter bien ne lui vaut
rien... sans crimes, sans histoire, sans littérature, sans arts...un
robuste rosier, sans épines, ni fleurs... ». « Vous aimez
l'inhumain » lui dit Marceline.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Marcelline fait alors une
fausse couche et semble dépérir. Michel décide de la faire voyager
à nouveau, en réalité plus pour satisfaire ses pulsions que pour
la guérir. D'ailleurs, en Afrique du Nord, le climat ne fait
qu'empirer l'état de Marceline. Michel, tout à ses retrouvailles
avec les jeunes Arabes, lui accorde de moins en moins d'attention.
Tel un vampire, Michel semble se repaître de la jeunesse et de la
santé de ses proches, tandis que la maladie, la vieillesse et la
laideur lui répugnent. La mort de Marceline le libère enfin des
derniers attachements qu'étaient l'amour et la fidélité.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>Analyse</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>L'immoraliste</i>,
publié en 1902, peut être lu comme la suite des <i>N</i><i>ourritures
terrestres</i>, en ceci que le roman illustre les mêmes thèmes et
principes exposés dans ce dernier. Le ton en diffère cependant de
manière sensible. <i>L'immoraliste</i> est en effet un roman
psychologique qui dissèque dans le détail de ses paradoxes son
personnage principal, Michel. Celui-ci est constamment tiraillé par
les pulsions qu'il souhaite assouvir au mépris de l'ordre social et
moral et les difficultés qu'il rencontre malgré lui à dépasser
les limites de ce carcan. Même s'il passe souvent à l'acte, Michel
ne le revendique jamais. Alors que le personnage de Ménalque dans
<i>Les n</i><i>ourritures terrestres</i> soutenait et suivait les
mêmes principes d'affranchissement du bien et du mal, Michel ne les
suit qu'à moitié, victime des conventions.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>L'immoraliste</i>
aborde les paradoxes de la vérité et du mensonge, de l'action et de
l'éthique, de la liberté et de la responsabilité. Prenant pour
guide exclusif son instinct – l'approche de la mort avait exacerbé
surtout en lui l'instinct de la conservation – le héros devient la
cause à demi consciente de la mort de sa femme. Il l'aime pourtant
mais la vie – sa vie à lui – parle plus haut que le souci d'une
autre santé ; il sacrifie lentement à ses goûts, à ses désirs, à
ses fantaisies même, la vie de la malheureuse créature qui, moins
forte que lui, est terrassée par le mal qu'il a pu dominer. Michel
abandonne progressivement son éducation, sa moralité pour avoir
accès à des notions qui lui étaient jusqu'alors étrangères : «
la suprême liberté intérieure et extérieure ». L'immoraliste y
aspire. Il ne peut supporter la tiédeur de l'atmosphère conjugale,
il n'a que faire des joies et des soucis médiocres de la richesse,
il ne veut pas de place dans la société à aucun degré. L'égoïsme
est le plus fort, c'est-à-dire que ses pulsions, ses joies passent
avant ses devoirs de mari – privilégier la santé de sa femme –
ou bien ses devoirs de propriétaire de ferme – il préfère aider
les braconniers qui, par leurs actions, causent un tort à sa
production plutôt que de les dénoncer ceci afin de ressentir la
fièvre, l'ivresse de leurs méfaits. En vue de tout cela, il commet
un crime, mi-volontaire, mi-conscient, un crime de nécessité
instinctive. Toutefois, dans le crime il n'est pas lâche. Michel
aurait en effet pu simplement abandonner sa femme, c'eût été plus
cruel peut-être mais beaucoup moins pénible. Au lieu de cela, il
gravit à ses côtés le calvaire.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Gide trouve pour la
première fois dans <i>L'i</i><i>mmoraliste</i> le style classique
qu'il gardera par la suite. Encadré par celui d'un autre narrateur –
la lettre d'un ami de Michel à un autre qui rapporte en fait un
discours oral de Michel – le récit de Michel est formé de deux
parties symétriques, l'une consacrée à sa maladie, l'autre à
celle de sa femme. Le rythme s'accélère progressivement,
accompagnant la chute de Michel. Les moments de récit à proprement
parler laissent par ailleurs une grande place à des passages de
réflexion à valeur générale qui sonnent parfois comme de
véritables sentences. La narration est en effet la plus neutre
possible, entièrement axée sur la description des actes et des
motivations de Michel.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Les points communs
existant entre le personnage principal de ce roman et André Gide,
son créateur, sont patents : le mariage et la révélation de Gide
au Maghreb en sont les exemples les plus frappants. Toutefois
l'auteur s'est toujours défendu d'avoir écrit un roman
autobiographique. Si <i>L'immoraliste</i> est de nos jours considéré
comme un grand classique de la littérature française, il n'a reçu
qu'un très faible succès lors de sa première publication.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
L'immoraliste n'a pas été
enfant, il n'a pas eu de jeunesse ; toute sa passion s'est concentrée
sur des travaux d'archéologie. Son mariage est un acte de
condescendance, l'amour ne l'a jamais ému. Mais la maladie le guette
et la convalescence sous un ciel ardent éveille en lui pour la
première fois l'amour de la vie, la jouissance sensuelle de tout ce
qui l'entoure.
</div>
100 fiches de lecturehttp://www.blogger.com/profile/08519664916714893544noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1215650165437180815.post-20529572995498413732015-05-18T07:04:00.000+02:002015-05-18T08:17:28.074+02:00Carlo Ginzburg, Le juge et l’historien (1991)<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L'auteur</b></u>
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Né en
1939 à Turin d'un père éditeur et professeur de littérature russe
et d'une mère romancière, Carlo Ginzburg débute comme professeur
d'histoire à Bologne avant de s'expatrier pour enseigner à
l'université de Californie. Spécialisé dans la sorcellerie et sa
répression à la fin du Moyen Age, Carlo Ginzburg est considéré
comme l'un des principaux représentants de la <i>microstoria</i> –
ou microhistoire. Cette nouvelle méthode historiographique apparue
dans les années soixante-dix consiste pour l'historien à se
rapprocher au plus près de la vérité historique en pratiquant la
méthode de l'indice. Selon Carlo Ginzburg, l'essentiel du travail de
l'historien est de prêter attention aux détails, aux événements
apparemment insignifiants : promouvoir la micro-histoire, c'est
promouvoir l'histoire des individus et non celle des groupes sociaux.
Il donne une illustration de sa méthode dans sa première œuvre <i>Le
fromage et les vers </i>parue en 1976 qui retrace l'histoire d'un
meunier de Frioul dont la vie s'est pratiquement déroulée dans
l'obscurité au seizième siècle jusqu'à ce qu'il soit condamné
pour hérésie par l'Inquisition.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’ouvrage</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Le 17 mai
1972, le commissaire Calabresi est assassiné à Milan. Ce policier
avait été présenté, notamment par le journal contestataire <i>Lotta
Continua</i>, comme responsable de la mort d'un anarchiste dont le
corps avait été retrouvé défenestré en 1969, dans le jardin de
la préfecture de police. Seize ans plus tard, en juillet 1988,
Leonardo Marino, ex-militant du groupe <i>Lotta Continua</i>,
s'accuse d'avoir participé au meurtre et met en cause ses camarades
Ovidio Bompressi, Giorgio Pietrostefani, et Adriano Sofri. Au terme
d'un périple judiciaire – sept procès en neuf ans – les trois
hommes sont condamnés sur la seule foi des « aveux » de ce «
repenti » à vingt-deux ans d'emprisonnement, tandis que leur
accusateur bénéficie de la prescription.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Comme
Voltaire pour Calas, comme Zola pour Dreyfus, Ginzburg, persuadé de
l'innocence de son ami Sofri, décide de contribuer à la révision
de son procès. Dans son livre <i>Le juge et l'historien</i>, il
applique au procès de Sofri, avec une rigueur scientifique, les
grilles de lecture qu'il a pu élaborer lors de ses immenses enquêtes
sur les procès de sorcières. Suivant pas à pas le procès Sofri
comme il le ferait d'un dossier de l'Inquisition, confrontant les
pièces, analysant les témoignages, interrogeant les méthodes et
les procédures, Ginzburg ne se contente pas de démolir l'accusation
et de réclamer la libération des condamnés, il montre comment le
traumatisme provoqué, dans les années soixante-dix par l'activité
des Brigades rouges en Italie a perverti la manière de penser et
d'exercer la justice dans un État de droit. L'historien, fort de sa
rigueur scientifique dans l'établissement des faits, donne une leçon
d'exigence intellectuelle aux juges.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>Le
juge et l'historien</i> se présente alors comme un montage entre
réflexions et documents : tout en retranscrivant de nombreux
extraits de procès verbaux de l'affaire Sofri, Carlo Ginzburg
apporte quelques réflexions sur les rapports qu'entretiennent le
juge et l'historien par une comparaison de leurs méthodes de
travail. A ce propos, il se livre à une analyse méthodologique de
la preuve et plus particulièrement du témoignage du « repenti »
dans un procès.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Comparaison
des méthodes employées par le juge et l'historien</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Jusqu'au
dix-huitième siècle, le métier d'historien est bien distingué du
métier d'antiquaire : l'historien doit convaincre à l'aide d'une
argumentation efficace alors que l'antiquaire doit convaincre par la
production de preuves. En 1769, l'érudit Henri Griffet est le
premier à relier les deux fonctions en comparant l'historien à un
juge qui passe au crible preuves et témoignages.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
L'idée
de comparer l'historien au juge est reprise par Hegel : « Die
Weltgeschichte ist das Weltgericht ». L'historiographie prend alors
une nouvelle teinte : on impose à l'historien de juger personnages
et événements selon la morale du moment. L'historiographie de la
Révolution française prend par exemple un aspect judiciaire très
marqué. Bloch écrit ironiquement en 1993 : « Robespierristes,
anti-robespierristes, nous vous crions grâce : par pitié,
dîtes-nous seulement quel fut Robespierre ! ». Depuis le milieu du
vingtième siècle, de nombreuses critiques ont été portées à
l'historiographie de type judiciaire, poussant à s'interroger de
nouveau sur les rapports qu'entretiennent le juge et l'historien.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Le
rapprochement entre les métiers de juge et d'historien repose avant
tout sur l'usage de la preuve. « Pour moi, comme pour beaucoup
d'autres, les notions de « preuve » et de « vérité »
sont, au contraire, parties intégrantes du métier d'historien […]
Le métier des uns et des autres (historiens et juges) se fonde sur
la possibilité de prouver en fonction de règles déterminées, que
x a fait y ; x pouvant désigner indifféremment le protagoniste,
éventuellement anonyme, d'un événement historique ou le sujet
impliqué dans une procédure pénale ; et y une action quelconque ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Le juge
comme l'historien se trouvent confrontés dans l'exercice de leur
métier aux indices, preuves et témoignages. Il s'agit avant tout
pour eux de reconstituer une situation passée, de rechercher la
vérité. Leur démarche est identique et empreinte de la même
rigueur scientifique dans l'analyse de la preuve. « Le juge qui mène
l'interrogatoire des inculpés et des témoins se comporte comme un
historien qui confronte, pour les analyser, différents documents ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Pour
autant, le juge et l'historien ne travaillent pas sur le même
matériau de départ : si le juge a accès aux sources <i>de vivo</i>
avec les témoignages, l'historien n'a accès qu'aux intermédiaires,
aux transcriptions écrites des sources orales qui sont plus ou moins
imprégnées de l'interprétation subjective de leur auteur. En
outre, comme le précise Carlo Ginzburg, la convergence entre le
métier de juge et d'historien « ne vaut que dans l'abstrait ».
L'intérêt de la confrontation se trouve précisément dans la «
divergence profonde » existant entre le juge et l'historien. Les
historiens s'occupent principalement d'événements politiques et
militaires concernant les Etats alors que les juges s'occupent
d'individus. Les conséquences de leur travail ne sont donc pas les
mêmes : l'erreur judiciaire n'a pas la même portée que l'erreur
scientifique. Enfin, l'historien peut, lorsqu'il élabore une
biographie, combler des lacunes en tenant compte du contexte et de ce
qui paraît le plus vraisemblable à une époque donnée. « Le
contexte entendu comme lieu de possibilités historiquement
déterminées, sert donc à combler ce que les documents ne nous
disent pas sur la vie d'une personne ». Le juge au contraire ne
saurait se livrer à de tels raccourcis pour statuer sur la
responsabilité pénale d'un individu. C'est précisément ce que
Carlo Ginzburg reproche aux juges qui ont statué sur l'affaire Sofri
en condamnant sur la base d'un seul témoignage et en l'étayant à
l'aide du contexte : « le juge d'instruction Lombardi et l'avocat
général Pomarici se sont comportés en historiens et non en juges
». Ce sont ces considérations qui amènent Carlo Ginzburg à
affirmer : « Réduire l'histoire au juge, c'est simplifier et
appauvrir la connaissance historique ; mais réduire le juge à
l'historien, c'est pervertir irrémédiablement l'exercice de la
justice ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Comparaison
du procès de Sofri à un procès d’Inquisition</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Carlo
Ginzburg a longuement étudié les procès d'Inquisition et plus
particulièrement les procès en sorcellerie au Moyen Age. Il
n'hésite pas, tout au long de son analyse minutieuse des actes du
procès Sofri, à relever certaines similitudes avec les documents
qu'il a été amené à consulter lors de son travail d'historien.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Tout
d'abord il relève le problème de la transcription. Comme lors de
ses recherches historiques, Carlo Ginzburg n'a eu accès qu'aux
transcriptions des interrogatoires menés lors du procès Sofri. Or à
l'écrit, bien des choses se perdent, les silences, les hésitations
etc., que les transcripteurs tentent de récupérer par la
ponctuation, ou des annotations entre parenthèses – « rires », «
larmes » – sans être toujours conscients qu'ils y ajoutent des
interprétations. Les notaires du Saint-Office le faisaient aussi. La
transcription présente donc le risque de conditionner les
interprétations ultérieures.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
L'auteur
est également frappé par la figure du « repenti ». Dans les
procès touchant à la mafia en Italie un même schéma se reproduit
souvent : l'accusation repose en partie sur les dires d'anciens
membres d'organisation mafieuse. Dans le cas présent l'accusation
portée contre Sofri, Bompressi et Pietrostefani repose
essentiellement voire exclusivement sur le témoignage d'un «
inculpé-témoin » : Marino. Ce schéma rappelle dans les procès
d'Inquisition le phénomène d'« appel en cause ». Un premier
inculpé va impliquer d'autres personnes dans son crime, le plus
souvent sous la torture, ce qui conduisait parfois à voir tout le
village accusé devant le tribunal. Un seul procès, du coup, en
suscitait des dizaines d'autres, en cascade.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Carlo
Ginzburg relève par ailleurs une similitude tenant à l'organisation
des interrogatoires. Sous l'Inquisition, les interrogatoires étaient
menés dans le secret. Dans l'affaire Sofri, il remarque que
l'essentiel des interrogatoires de Marino a été mené dans le
secret, notamment dans des lieux inappropriés comme une caserne de
carabinier et dont il ne reste aucune trace écrite, si ce n'est le
témoignage au moment du procès des carabiniers qui l'auraient
entendu deux ans auparavant.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Enfin, ce
qui semble le plus surprenant dans une démocratie, l'attitude du
juge lors de l'affaire Sofri ressemble en partie à celle des juges
d'Inquisitions, stigmatisée pour leur arbitraire. Carlo Ginzburg
montre ainsi que lors des interrogatoires des témoins du meurtre, le
juge « harcèle, insiste, fait tournoyer les sophismes comme des
sabres ». Au final, le juge finit par convaincre les témoins de son
propre point de vue tout comme au Moyen Age il convainquait les
accusés de leur propre culpabilité.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
La
comparaison entre le procès de Sofri et les procès d'Inquisition
est particulièrement défavorable aux juges du vingtième siècle au
point que Carlo Ginzburg déclare à un journaliste en 1997 : « il y
avait chez certains juges de l'Inquisition un souci pour la preuve
que je ne trouve pas toujours chez leurs collègues d'aujourd'hui ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Analyse
méthodologique de la preuve dans l'affaire Sofri</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
La
condamnation d'Adriano Sofri et de ses camarades repose entièrement
sur le témoignage de Marino. Après lecture des actes du procès,
Carlo Ginzburg écrit : « Selon toute probabilité, Marino ment ;
sans aucun doute, Marino a été cru ». C'est ce mauvais usage de la
preuve qui a poussé les juges italiens à commettre une erreur
judiciaire.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
L'auteur
en profite pour donner une leçon de méthode à destination de
l'appareil judiciaire. Un témoignage doit toujours être corroboré
par des éléments objectifs extérieurs. Et le contrôle du
témoignage doit être encore plus sévère lorsque le témoin a
participé au crime et notamment lorsque des récompenses lui ont été
promises en échange de ses révélations.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
La
crédibilité du témoignage d'un « repenti » peut donc être
questionnée. En l'espèce, le fondement de l'instruction est la
sincérité du repentir de Marino. Les juges considèrent à
plusieurs reprises que, le repentir de Marino étant manifeste, ses
déclarations ne peuvent qu'être justes, d'autant qu'eu égard au
contexte, elles sont plausibles. Il est logique que les membres
éminents du journal <i>Lotta Continua</i> aient souhaité la mort de
Calabresi et le sjuges concluent à la crédibilité manifeste de
Marino. Or à la lecture des interrogatoires, on se rend compte que
Marino se contredit, change ses versions d'une audience à l'autre
sous l'influence des questions du juge, se trompe et est en désaccord
constant avec l'ensemble des témoins du meurtre. Le plus inquiétant
est que ses erreurs et ses hésitations sont vues par les juges comme
des signes de crédibilité du témoignage de Marino, au vu de
l'ancienneté des faits, là où elles sont signes de faiblesses pour
les témoins qui offrent une version contraire à celle de Marino.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Les juges
se sont comportés en historiens car pour donner du poids à
l'accusation ils ont eu recours à ce que Carlo Ginzburg qualifie de
« preuve logique », c'est-à-dire qu'ils ont raisonné en terme de
compatibilité. Or une telle démarche n'est pas acceptable en
démocratie comme le souligne l'auteur : « est-il légitime de
pallier le manque de confirmations extérieures quant au comportement
d'un individu par des données non vérifiées, juste compatibles
avec ce qui a été effectivement vérifié ? »</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>Commentaires</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>Le
juge et l'historien </i>n'a pas eu les effets escomptés par son
auteur : Sofri a été condamné par la justice italienne, après une
procédure riche en rebondissement. Après avoir été jugé coupable
une première fois en première instance et en appel, la cour suprême
italienne annule le premier jugement pour graves vices de méthode et
de logique en 1992. La cour de renvoie acquitte les inculpés mais au
moyen d'un « verdict suicide », c'est-à-dire rédigé de façon si
ouvertement illogique qu'il s'expose à l'annulation pour vice de
forme. La cour suprême l'annule à son tour en 1994. La cour de
second renvoi condamne à nouveau les inculpés et ce verdict est
confirmé par la cour de cassation en 1997.</div>
100 fiches de lecturehttp://www.blogger.com/profile/08519664916714893544noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1215650165437180815.post-69240054945974211672015-05-11T07:49:00.000+02:002015-05-11T07:54:24.969+02:00Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée (1987)<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L'auteur</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Alain Finkielkraut est un
philosophe, écrivain et essayiste français né à Paris le 30 juin
1949. Il a principalement écrit sur la question juive, sur la
critique de la modernité mais également sur la question de l'école
en France. La publication de <i>La défaite de la pensée</i> en 1987
marque un tournant dans son œuvre et le début d'une critique
profonde de la « barbarie du monde moderne », qui s'inscrit dans le
droit fil de Hannah Arendt à laquelle il ne cesse de se référer.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’ouvrage</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>La défaite de la pensée</i>
constitue une œuvre fondatrice dans la pensée de Finkielkraut dans
la mesure où il aborde là pour la première fois la question de la
modernité et des critiques qui peuvent lui être adressées. L’œuvre
met en évidence la succession chronologique d'événements qui ont
conduit à un déclin de la culture au sens de vie avec la pensée.
Du dix-neuvième siècle à nos jours, <i>La défaite de la pensée</i>
retrace le processus qui a abouti au malaise actuel dans la culture.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>L’enracinement de
l’esprit</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Dans une première
partie, Finkielkraut décrit la manière dont la pensée est devenue
non plus universelle mais locale et comment les particularismes
nationaux ont pris le pas sur l'universalisme de la pensée prôné
par la philosophie des Lumières. Ce passage de « la culture »
en « ma culture » s'est produit en réaction à la
Révolution française. En effet, en mettant à bas la société de
l'Ancien Régime et en fondant une nouvelle société basée
principalement sur l'égalité, les révolutionnaires français ont
redéfini l'individu par son humanité plutôt que par son hérédité.
De ce constat, les contre-révolutionnaires et les penseurs
traditionalistes mettent l'accent surtout ce qui fait la spécificité
du peuple français, sa territorialité, tout en critiquant cette
volonté de déraciner l'Homme de ses origines, alors que le but même
des Lumières était de le rendre cultivé. Au «je pense, donc je
suis » de Descartes, ils opposent le « je pense, donc je suis de
quelque part ». Ce mouvement est également à l’œuvre outre-Rhin
en réponse à l'impérialisme de la pensée française. En effet,
pour contrer cette hégémonie culturelle, les penseurs romantiques
allemands exaltent tous les caractères propres de à la culture
germanique, notamment au travers de la poésie. Cela aboutit à
l'élaboration du concept de <i>Volksgeist</i>, génie national au
sens de l'âme de la nation avec des penseurs comme Herder.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Ce double mouvement de
nationalisation des idées se cristallise lors de la querelle
franco-germanique au sujet de l'annexion de l'Alsace-Lorraine par
l'Allemagne après la défaite de Sedan. Cette annexion a pour effet
d'exacerber les sentiments nationalistes français et allemands et de
donner ainsi une plus grande valeur au concept de <i>Volksgeist</i>.
C'est ainsi qu'« une nation suppose un passé et se résume dans le
présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement
exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est un
plébiscite de tous les jours ». Ce sont ces conflits liés aux
sentiments nationaux et à la territorialisation de la culture qui
ont contribué à l'émergence des grands conflits du début du
vingtième siècle.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>La trahison généreuse</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Avec la création de
l'Unesco à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Finkielkraut
constate un phénomène similaire à celui qui eut lieu en Europe
avec la Révolution Française. La volonté universaliste des
civilisations occidentales d'apporter le progrès aux autres cultures
et d'exporter leur modèle de civilisation est remise en cause, tout
d'abord sous l'effet des travaux d'ethnologues tels que Lévi-Strauss
qui démontre la relativité de la notion de civilisation, ainsi que
l'impossibilité scientifique de hiérarchiser celles-ci entre elles.
De là, les peuples issus de la décolonisation ont pu reconstruire
leur identité nationale en suivant le même processus que des
romantiques allemands, en exaltant leur <i>Volksgeist</i>, leur
identité culturelle. Cette exaltation des caractéristiques
culturelles nationales s'accompagne également du rejet de tout ce
qui traduit la domination coloniale. C'est ainsi que ces nouveaux
peuples se construisent autour d'une identité culturelle collective,
l'individualisme et la critique du système naissant étant bannis de
ce processus de construction. Cette valorisation du particularisme
conduit les instances internationales à adopter un changement
sémantique. La volonté universaliste du colon blanc cède le pas
aux volontés plurielles des peuples décolonisés. L'Homme devient
l'homme, simple individu confondu dans sa culture, sa nation. En
outre, ce phénomène a été conforté par le rejet scientifique de
la notion de race, les différences entre les hommes n'étant pas
biologiques mais culturelles. Cette affirmation conduit à renouveler
la définition du racisme : ce n'est en effet plus le critère
biologique qui est pris en compte mais le critère culturaliste qui
le détermine. Dès lors, la très large diffusion de la notion de
culture se comprend aisément, l'ambition universaliste des Lumières
s'étant trouvée contrecarrée à l'échelle européenne puis
mondiale.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Vers une société
pluriculturelle ?</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Avec la décolonisation
et la résurgence des cultures des anciens peuples colonisés, chaque
peuple revendique ses valeurs morales, ses traditions politiques et
ses règles de comportement. Cette conception de la multiplicité des
cultures s'est étendue au continent européen et à la France. Dès
lors, disparaissent les « derniers dreyfusards » c'est-à-dire «
ceux qui en appellent à des normes inconditionnées ou à des
valeurs universelles » et ne subsistent donc que les apôtres de la
relativité culturelle.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Cette disparition s'est
notamment répercutée en matière scolaire avec un changement de
pédagogie : les nouveaux programmes de sciences humaines sont ainsi
chargés d'enseigner que toute œuvre étant circonstanciée, ni son
auteur, ni son contenu ne peuvent prétendre à l'universalité. En
outre, ce changement du contenu et des méthodes de l'enseignement en
France traduit un bouleversement plus profond de sa société. En
effet, l'idéal d'universalité français a vécu et la France est
définie par sa culture et non plus par la place que la culture y
occupe.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
De plus, le processus de
parcellisation de la culture conduit à un asservissement de la
personne à son groupe d'appartenance. L'individu ne se définissant
plus que comme un élément de son groupe et non plus comme un être
particulier, le « nous » remplace le «je ».
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Par ailleurs, en raison
de son passé colonial, l'Europe choisit de ne pas juger les
civilisations étrangères à l'aune de ses valeurs, acceptant ainsi
d'accueillir en son sein des valeurs contraires aux siennes, sous le
couvert de la fausse humilité consistant à ne jamais juger et
critiquer ce qui est différent.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Nous sommes le monde,
nous sommes les enfants</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
De cette coexistence de
plusieurs systèmes de valeurs au sein d'une même société est né
le concept de société pluriculturelle. L'auteur démontre cependant
que l'individu hédoniste de la seconde moitié du vingtième siècle
ne cherche plus à vivre dans une société authentique au cœur de
ses valeurs culturelles propres mais dans une société polymorphe où
le terme « pluriculturel » ne se traduit plus par la multiplicité
des cultures au sein d'une même société mais plutôt par
l'éclectisme, l'abondance de valeurs auxquelles l'individu peut
s'adonner selon sa pulsion du moment.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
L'auteur décrit
également le phénomène qui a conduit à la dévalorisation de la
culture en tant que vie avec la pensée. L'exacerbation de la
rationalité technique et de la doctrine utilitariste dès le
dix-neuvième siècle a entraîné mécaniquement le transfert de la
culture dans la sphère du loisir, celle-ci étant assimilée à de
l'oisiveté. Cependant, le
développement hédoniste de la société fait que cette oisiveté a
été réhabilitée, la culture occupant la même place que les
autres loisirs. À cela, s'est ajouté un rejet de l'élitisme
culturel défini non pas comme le refus de l'accès à la culture par
une certaine classe sociale mais comme le refus de considérer comme
culturelle une activité où la pensée n'a aucune place et n'a pas
valeur d’œuvre créatrice. Un clip musical peut dès lors être
considéré comme culturel au même titre qu'une pièce de
Shakespeare. La culture en tant que vie avec la pensée n'occupe
désormais dans la société qu'une place résiduelle, le terme même
de « culture » ne désignant plus cette activité.
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>Conclusion</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Alain Finkielkraut
conclut son ouvrage par un développement sur « le zombie et le
fanatique » qui dresse le résultat du phénomène analysé tout au
long de l'ouvrage : « la barbarie a donc fini par s'emparer de la
culture. A l’ombre de ce grand mot, l’intolérance croît, en
même temps que l'infantilisme. Quand ce n'est pas l'identité
culturelle qui enferme l'individu dans son appartenance et qui, sous
peine de haute trahison, lui refuse l 'accès au doute, à l 'ironie,
à la raison - à tout ce qui pourrait le détacher de la matrice
collective, c 'est l 'industrie du loisir, cette création de l 'âge
technique qui réduit les œuvres de l 'esprit à l 'état de
pacotille (ou comme on le dit en Amérique <span style="font-style: normal;">d'</span><i>entertainment</i>).
Et la vie avec la pensée cède doucement la place au face-à-face
terrible et dérisoire du fanatique et du zombie ».</div>
100 fiches de lecturehttp://www.blogger.com/profile/08519664916714893544noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1215650165437180815.post-86299607347817343642015-05-04T04:41:00.000+02:002015-05-07T18:02:58.409+02:00Diderot, Jacques le Fataliste et son maître (1778-1780)<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’</b></u><u><b>auteur</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Denis Diderot est né en
1713 à Langres. Il fait ses études chez les jésuites puis est reçu
maître ès arts de l'université de Paris. En 1746, reprenant l'idée
du libraire Le Breton de publier une traduction de la <i>Cyclopaedia</i>
de l'anglais Chambers – dictionnaire contenant des articles et des
planches sur les arts mécaniques – il s'engage avec D'Alembert
dans la rédaction de <i>L</i><i>'Encyclopédie. </i><span style="font-style: normal;">
Diderot </span><span style="font-style: normal;">en </span><span style="font-style: normal;">élargi</span><span style="font-style: normal;">t
</span><span style="font-style: normal;">le projet </span><span style="font-style: normal;">en
ambitionnant de </span><span style="font-style: normal;">rendre compte
de toutes les connaissances contemporaines, de traquer les préjugés
en diffusant des connaissances et de conduire les hommes à penser
librement en se laissant guider par la raison. L'ouvrage </span><span style="font-style: normal;">est
publié</span><span style="font-style: normal;"> en secret </span><span style="font-style: normal;">en
1749 </span><span style="font-style: normal;">car condamné par la
censure en raison des idées nouvelles jugées subversives qu'il
véhicu</span><span style="font-style: normal;">le</span><span style="font-style: normal;">.
</span>La même année, dans la <i>L</i><i>ettre sur les aveugles à
l'usage de ceux qui voient</i>, Diderot confesse son athéisme, ce
qui lui vaut un emprisonnement à Vincennes, d'où il ne sortira que
contre la promesse de ne plus jamais rien publier qui déplaise aux
autorités en place. En 1765, l'impératrice Catherine II de Russie
devient sa protectrice attitrée. Il décède en 1784.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’ouvrage</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La rédaction de <i>Jacques
le Fataliste</i> s'inscrit dans un contexte d'effervescence
culturelle : salons, clubs, cercles littéraires et philosophiques,
académies. <i>Jacques le </i><i>F</i><i>ataliste</i>, publié en
feuilletons entre 1778 et 1780 puis de manière posthume en 1796, est
une œuvre moderne dans laquelle le dialogue est privilégié dans le
but de permettre aux points de vue de se rencontrer et qui pose des
questions philosophiques. Diderot narre le voyage de Jacques et son
maître vers un but dont le lecteur n'est informé qu'à la fin du
livre. Leur dialogue est entrecoupé de multiples récits et des
interventions du narrateur s'adressant au lecteur. Diderot y dépeint
de façon réaliste la société de son époque tout en développant
le thème du fatalisme et du déterminisme.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Le style littéraire
choisi par Diderot lui permet d'intégrer naturellement dans le récit
ses idées sur le fatalisme notamment. L'ouvrage véhicule une vision
nouvelle de la société, particulièrement perceptible dans les
relations entre Jacques et son maître.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Un roman picaresque</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>Jacques le </i><i>F</i><i>ataliste</i>
est une œuvre à la narration complexe, fondée sur un dialogue
entre un maître et son valet, dialogue qui se rattache à son tour à
un autre dialogue entre le narrateur et son lecteur et auquel les
récits des personnes rencontrées viennent également se raccrocher.
Jacques et son maître voyagent à cheval, d'auberge en auberge, sans
but précis – du moins le but n'est pas connu du lecteur avant la
fin de l'ouvrage. Ils causent sur le chemin, vivent des aventures au
gré du voyage, croisant la route d'autres personnages. La trame
narrative qu'offre le roman picaresque est souple, c'est celle du
voyage, de la route et de ses aventures : scènes de brigandage,
rencontres dans les auberges, notamment dans la première partie du
roman.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La construction de
<i>Jacques le </i><i>F</i><i>ataliste</i> est donc globalement
empruntée au roman picaresque, tradition romanesque développée en
Espagne aux seizième et dix-septième siècles – <i>Don Quichotte</i>
de Cervantes ou <i>Gil Blas</i> de Santillane de Lesage – genre
qu'il parodie. C'est d'ailleurs un grand roman picaresque du
dix-huitième siècle qui a influencé Diderot : <i>Le compère
Mathieu</i> de l'abbé Dulaurens, mentionné dans <i>Jacques le
</i><i>F</i><i>ataliste</i>. Diderot présente son ouvrage comme «
le plus important qui parut depuis le <i>Pantagruel</i> de François
Rabelais et <i>L</i><i>a vie et les aventures du compère Mathieu</i>
».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
L’œuvre apparaît
comme un ensemble décousu : pas de division en chapitres, même si
le voyage se déroule sur plusieurs journées. L'errance romanesque
des personnages se traduit ainsi dans le texte. Son mouvement est
sans cesse interrompu et renoué, on dénombre de multiples histoires
et personnages : le voyage picaresque vers nulle part, le récit
discontinu fait par Jacques de ses amours, les digressions des
personnages et les commentaires du narrateur.
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La cohérence du roman
tient toutefois à ses deux récits-cadres : le voyage sans but de
Jacques et son maître et l'histoire principale des amours de Jacques
qui fournissent le début et le dénouement du roman.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>La progression par
digressions</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Les digressions
romanesques sont nombreuses. Diderot fait intervenir de nombreux
narrateurs – aubergiste, compagnons de voyage etc. – procédant
de plusieurs styles : ainsi trouve-t-on des histoires proches de la
tradition littéraire médiévale du fabliau – le récit des faux
dépucelages successifs de Jacques – un drame bourgeois –
l'histoire de la vengeance d'une amante délaissée, Madame de la
Pommeraye. Chaque récit est en permanence interrompu, reporté,
c'est alors un autre qui commence et s'interrompt à son tour.
Finalement ces multiples interruptions et digressions forment un
ensemble cohérent. Viennent s'y ajouter les interventions du
narrateur qui s'adresse au lecteur, s'amusant de ses attentes. Il
oblige le lecteur à sortir de la fiction et à entrer dans la
critique des procédés narratifs utilisés procédant de la
fantaisie et de la surprise et qui ont pu faire parler d’ «
anti-roman ». Ainsi, le narrateur propose parfois à son lecteur
deux pistes différentes, faisant mine de le laisser libre dans la
conduite du récit : « Si vous voulez suivre Jacques, prenez-y garde [...]. Si,
l'abandonnant seul [...] vous prenez le parti de faire compagnie à
son maître. vous serez poli, mais très ennuyé [...] ».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La progression par
digressions a été empruntée au <i>Tristram Shandy</i> de Laurence
Sterne, écrivain anglais. Le lecteur est en permanence surpris,
impatient de connaître le dénouement des histoires laissées en
suspens. Ces rebondissements sont introduits à dessein par l'auteur
pour reproduire les hasards de la vie : Diderot cherche donc par ce
style narratif à créer un ouvrage crédible et réaliste, à
l'inverse du roman de l'époque. En effet, dès le début du roman,
le ton est donné : le narrateur affirme sa liberté et s'emploie à
déjouer l'illusion romanesque : « Comment s 'étaient-ils
rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment
s'appelaient-ils ? Que vous importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu le
plus prochain. Où allaient-il ? Est-ce que l'on sait où l'on va ?
[...] ».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><i>Jacques le
Fataliste</i> et la crise du roman</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
L'originalité de <i>Jacques
le Fataliste</i> tient au statut du narrateur. Bien loin d'entretenir
l'illusion romanesque, celui- ci ne cesse de révéler sa présence.
Cette interpellation constante du lecteur</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
par le narrateur engage
le problème du réalisme et de la liberté du romancier. L'ouvrage
traduit en effet la crise que traverse le roman au dix-huitième
siècle, le genre étant accusé de frivolité, d'invraisemblance et
de flatter l'imagination plutôt que la raison.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>Jacques le </i><i>F</i><i>ataliste</i>
cherche à démystifier le roman à la mode en son temps – roman
d'amour, de chevalerie, d'aventure – en masquant la fiction
derrière l'affirmation de véridicité et en faisant le pari du
réalisme. Diderot intègre ainsi son questionnement sur le
romanesque et sa réflexion philosophique dans la narration.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>La relation
valet-maître</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>Jacques le </i><i>F</i><i>ataliste</i>
est une œuvre éponyme Le prénom donné au héros évoque le monde
paysan : un Jacques est un paysan, une jacquerie une révolte de
paysans. Le valet vient en effet de la campagne, obligé pour
survivre à devenir soldat puis domestique. Il est bon vivant, grand
buveur. Diderot s'est inspiré de Rabelais : Jacques glorifie tous
les plaisirs de la vie tels que nourriture et vin. Il accorde une
grande importance au corps et à la quête du plaisir – histoires
grivoises, maladies de Jacques.
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Jacques apparaît en tête
de titre. Il a préséance sur son maître qui est d'ailleurs réduit
à sa seule fonction sociale face à lui, d'où l'importance que
revêt l'adjectif possessif « son ». La relation entre le maître
et le valet est très libre, dégagée des schémas sociaux. Jacques
accepte d'être battu la première nuit puis se révolte la deuxième
fois où son maître tente de le battre et finalement le menace de
s'en aller. Le maître prend conscience de son attachement à son
valet et la relation de servitude s'inverse : Jacques est traité en
ami et prend clairement l'avantage sur son maître au cours du roman.
Celui-ci sera finalement contraint de se reconnaître soumis à son
valet. Jacques s'inscrit dans la lignée des valets bavards comme
Sganarelle de Molière et annonce aussi le Figaro de Beaumarchais par
son insolence et sa virtuosité verbale.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Au simple prénom de
Jacques vient dans le titre se confronter la position sociale du
maître : c'est celui qui écoute, se met en colère mais le plus
souvent est bon avec son valet. Le mal de gorge de Jacques vers la
fin du récit permet au maître de devenir le narrateur en même
temps que le héros du conte : il a été trompé par la jeune fille
qu'il courtisait et son meilleur ami. C'est vers la fin du texte, en
se vengeant de ce dernier rencontré fortuitement, qu'il précipite
le dénouement: Jacques est emmené en prison pour le
meurtre commis par son maître.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>La critique du
fatalisme</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Dès le début de
l'ouvrage, Diderot présente au lecteur la thèse que Jacques
reprendra tout au long du voyage : « Tout ce qui nous arrive de bien
ou de mal est écrit là-haut ». Cette thèse a été enseignée à
Jacques par son capitaine lorsqu'il était à l'armée : le destin de
chaque homme est écrit à l'avance par une entité supérieure
(Dieu) dans un « grand rouleau » et ne peut donc pas être changé,
quel que soit son comportement.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Jacques oppose ce
fatalisme – du latin « fatum » : « sort » ou « destinée » –
à chaque événement survenu ou à venir : ainsi lorsque son maître
le bat ou lorsque son cheval emballé lui cogne la tête à un
linteau de porte (« Il était donc écrit là-haut ! »).Cette
doctrine impose un certain comportement : il est tout d'abord inutile
d'agir pour tenter de déjouer le fil de son destin. Ainsi, lorsque
Jacques envisage la possibilité d'être trompé par sa femme , il
raisonne en ces termes : « S'il est écrit là-haut que tu seras
cocu, Jacques, tu auras beau faire, tu le seras ; s'il est écrit au
contraire que tu ne le seras pas, ils auront beau faire, tu ne le
seras pas ; dors donc, mon ami. Et il s'endort ». Il est également
inutile de tenter de prévoir les conséquences de son action, et
donc d'être prudent, car « le calcul qui se fait dans nos têtes et
celui qui est arrêté sur le registre d'en haut sont deux calculs
bien différents ». Pour Jacques, tous les événements sont donc
liés entre eux « comme les chaînons d'une gourmette », et ce qui
les relie est ce « grand rouleau » infaillible. Diderot introduit
les critiques de ce fatalisme en pointant les contradictions de
Jacques de diverses manières tout au long de son ouvrage.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Tout d'abord, l'attitude
de Jacques n'est la plupart du temps pas conforme à celle que son
fatalisme devrait lui dicter. Diderot montre que Jacques agit en
réalité tout à fait librement et que l'invocation du destin, loin
de paralyser son action, lui sert souvent à justifier des décisions
qu'il prend librement. Ainsi, lorsqu'il est menacé par des hommes
armés, « Jacques consulta un moment le destin dans sa tête ; il
lui sembla que le destin lui disait : Retourne sur tes pas ; ce qu'il
fit » ou à se consoler d'un malheur en se rappelant qu'il était
inévitable puisqu'« inscrit là-haut ».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En outre, la thèse
fataliste mène à la négation de toute morale, puisque le bien ou
le mal que fait chaque homme n'est pas imputable à lui-même mais au
grand rouleau. Comme le fait remarquer le maître à Jacques, « en
raisonnant à ta façon, il n'y a point de crime qu'on ne commît
sans remords ». Pourtant, Jacques n'est pas indifférent à toute
considération morale ; l'épisode où il donne son dernier argent à
une femme qui a brisé la cruche d'huile de son maître le prouve.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Enfin, le fatalisme
suppose que l'on croie en un Dieu auteur du « grand rouleau »,
maître de notre destin. Jacques ne cesse au contraire d'affirmer son
manque de foi. Le fatalisme est ainsi présenté à travers l'ouvrage
comme une doctrine à la fois stupide et impossible à mettre en
pratique puisque Jacques lui-même n'agit pas en fataliste</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Le « fatalisme » tel
que présenté par Jacques est une doctrine impossible à mettre en
œuvre. Jacques partage l'opinion de son capitaine qui se réclame
lui-même de Spinoza qui dans son <i>Ethique</i> mêle en effet
étroitement liberté et nécessité – la nécessité désigne dans
le langage philosophique ce qui est produit par des liens causaux
inéluctables. Pour lui, Dieu est un, absolu et infini par nature. Il
est donc tout- puissant et libre. Mais comme Dieu est en toute chose,
ce que veut Dieu se confond avec ce qui est – par exemple, Dieu a
voulu que l'homme soit doué de parole, c'est pourquoi l'homme peut
parler. Ce que Dieu veut se produit nécessairement : la liberté de
Dieu est donc nécessitée. Il n'en est pas de même pour les hommes
qui ne sont, eux, pas tout-puissants. Puisque l'homme ne peut pas
tout, s'il veut voir ses désirs se réaliser il faut que ceux-ci
coïncident avec la nécessité. L'homme doit donc vouloir la
nécessité, c'est-à-dire maîtriser ses désirs de telle façon
qu'ils coïncident avec les plans divins. Pour que sa liberté ait un
sens, l'homme doit dominer ses passions et employer sa liberté à
agir selon la nécessité, c'est-à-dire selon la volonté de Dieu.
C'est en cela que la doctrine de Spinoza se rapproche de celle de
Zénon – auquel Diderot fait allusion dans les dernières lignes de
<i>Jacques le Fataliste</i> – fondateur de l'école stoïque au
quatrième siècle avant notre ère et qui prônait l'indifférence à
tout ce qui n'est pas conforme à la raison universelle à l’œuvre
dans le monde et l'engagement de l'homme au service de cette raison
immanente. Le fatalisme prôné par Jacques et la négation de la
liberté humaine et des valeurs morales qu'il implique sont donc très
éloignés des doctrines philosophiques qu'il invoque.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
En réalité, Jacques
n'est pas fataliste ; il se comporte en homme soucieux du bien et du
mal, conscient des résultats probables de son action et désireux
d'agir pour le mieux à tout moment. Jacques est en fait beaucoup
plus proche de la philosophie de Diderot qu'il ne semble à première
vue. En effet, Diderot, en philosophe athée matérialiste, pense que
tout ce qui se passe dans le monde réel est explicable
rationnellement par des lois scientifiques. Le monde est donc bien
gouverné par une nécessité, c'est-à-dire un enchaînement
d'événements liés entre eux par une causalité inéluctable mais
cette nécessité ne résulte pas d'un « grand rouleau » comme
l'affirme Jacques ; elle n'est pas « écrite là-haut » mais
résulte des lois naturelles de la biologie ou de la physique. Cette
doctrine est appelée déterminisme même si l'usage du mot, apparu
au début du dix-neuvième siècle quelques années après la mort de
Diderot est ici anachronique.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Si Jacques est désigné
comme fataliste, c'est parce qu'il attribue les causes des événements
à un « grand rouleau » écrit par un auteur tout-puissant, mais sa
manière d'agir montre qu'il cherche à établir des liens rationnels
entre les événements auxquels il est confronté et à agir en
conséquence. Ainsi, lorsque son maître insinue que le fait que son
cheval s'obstine à le mener devant des gibets pourrait être un
signe annonciateur d'une mort prochaine par pendaison, Jacques refuse
cette éventualité au motif qu' « [il] a beau revenir sur le passé,
il n'y voit rien à démêler avec la justice des hommes ». Jacques
cherche spontanément une raison à cette éventuelle pendaison,
attitude déterministe, alors qu'un vrai fataliste aurait passivement
accepté cette possibilité.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La distinction entre
déterminisme et fatalisme peut apparaître au premier abord ténue :
les événements sont causés par une suite des causes liées entre
elles par la nécessité – « Mon capitaine disait : « Posez une
cause, un effet s'ensuit ; d'une cause faible, un faible effet ;
d'une cause momentanée, un effet d'un moment, [...] d'une cause
cessante, un effet nul » »). Cependant, cette nécessité est
divine selon le fataliste alors que pour le déterministe elle
résulte des lois de la nature. Cette différence est lourde d'enjeux
à la fois quant à la nature de l'homme et quant à son action. Le
fataliste attribue chaque événement, chaque comportement à un plan
divin auquel non seulement il ne peut pas déroger, mais qu'il ne
peut pas non plus comprendre ou prévoir. Il en résulte une négation
totale de la liberté de l'homme comme du sens de son action, et donc
une inutilité de celle-ci et une incitation à la résignation et à
la passivité. Pour le matérialiste au contraire, les causes de
chaque phénomène sont à rechercher dans la nature et peuvent être
appréhendées par la raison. Bien que l'homme ne soit pas capable
d'appréhender parfaitement ces causes et donc de prévoir chaque
événement et les conséquences de chacune de ses actions, il peut –
et doit – toutefois utiliser sa raison pour essayer de comprendre
la chaîne des nécessités. Le déterminisme, sans faire cependant
preuve d'un optimisme démesuré, incite donc l'homme à agir et à
utiliser sa raison. On peut penser que Jacques reflète assez
fidèlement la pensée de Diderot lorsqu'il dit « Faute de savoir ce
qui est écrit là-haut on ne sait ni ce qu'on veut, ni ce qu'on
fait, et [...] on suit sa fantaisie qu'on appelle raison , ou sa
raison qui n'est souvent qu'une dangereuse fantaisie qui tourne
tantôt bien tantôt mal. Mon capitaine croyait que la prudence est
une supposition dans laquelle l'expérience nous autorise à regarder les
circonstances où nous nous trouvons comme causes de certains effets [...].».</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
<b><u>Lien</u></b><br />
<br />
<ul>
<li><a href="http://blog.franceculture.fr/raphael-enthoven/jacques-le-fataliste-diderot/" target="_blank"><i>Jacques le Fataliste</i> dans <i>Le Gai Savoir</i>, France Culture, émission du 5 mai 2013</a></li>
</ul>
<br />
<br /></div>
100 fiches de lecturehttp://www.blogger.com/profile/08519664916714893544noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1215650165437180815.post-25092384530049860112015-04-27T07:20:00.000+02:002015-04-27T07:20:37.371+02:00Benedict Anderson, L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme (1991)<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="bookmark0"></a>
<u><b>L’auteur</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Benedict
Anderson est né le 26 août 1936 à Kunming en Chine, d'une mère
anglaise et d'un père irlandais. Diplômé d'un Bachelor of Arts à
Cambridge en 1957, il s'intéresse à la politique et à l'histoire
de l'Asie du Sud-Est dans le cadre de son doctorat et rejoint le
programme d'étude de l'Indonésie de l'université de Cornell. Il se
rend donc à Jakarta en 1961 pour y poursuivre ses recherches. En
1966, après le coup d'État communiste qui a eu lieu l'année
précédente, Anderson publie un manifeste, le <i>Cornell Paper</i>,
qui dénonce une « révolution » davantage guidée par
« le mécontentement des officiers » que par une
quelconque idéologie. Il doit s'exiler et passe donc quelques années
en Thaïlande avant de repartir pour les États-Unis. Il est
actuellement directeur du Modem Indonesia Program et enseigne les
relations internationales à Cornell.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L'ouvrage</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<i>L'imaginaire
national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme</i>
a été publié une première fois en 1983 puis enrichi de deux
chapitres supplémentaires en 1991.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Le
constat de départ d'Anderson est le suivant : le concept de
nation connaît un succès général depuis la Seconde guerre
mondiale et transcende tous les clivages idéologiques.
L'organisation des nations unies est le symbole de cette légitimité
universelle de l'idée nationale. De même, les mouvements
indépendantistes coloniaux luttent au nom de leur singularité
nationale. En outre, les nationalismes sont de plus en plus nombreux
au sein même des Etats-Nations déjà constitués.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Le
nationalisme a déjà été objet d'innombrables études historiques
mais la plupart ont pour cadre le dix-neuvième siècle européen. En
contrepoint, le livre d'Anderson développe une réflexion qui vise à
penser le nationalisme en tant que phénomène global, à échelle
mondiale, et abandonne donc une approche avant tout centrée sur le
Vieux Continent.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Anderson
affirme dès l'introduction que la nation est une « communauté
politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et
souveraine ». Elle est imaginaire parce qu'il s'agit d'une
entité regroupant tant de personnes qu'il n'est pas possible qu'un
individu connaisse tous les autres. Elle est limitée parce que tous
les nationalismes reconnaissent des limites à la nation et
n'englobent jamais l'humanité tout entière dans son sein. Enfin,
elle est souveraine, car l'idée de nation nait selon Anderson durant
la période des Lumières et de la Révolution quand l'Etat devient
un rempart face aux structures hiérarchiques imposées par la
religion. Il n'y a donc pas de communauté nationale préexistante,
celle-ci n'existe qu'une fois inventée, créée. L'adhésion à
l'idée nationale ne va donc pas de soi et est historiquement datée.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Anderson
interroge alors les conditions historiques d'apparition du sentiment
nationaliste et l'évolution de celui-ci, de l'indépendance créole
aux mouvements de libération de l'après Seconde guerre mondiale.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
L'émergence
de la « nation » est rendue possible par
l'affaiblissement concomitant de la communauté religieuse, de la
légitimité dynastique et par une mutation de la perception du
temps.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Ces
phénomènes laissent le champ libre à l'émergence de la
« communauté imaginée » qu'est la nation mais n'en sont
pas les causes directes. C'est en effet l'avènement du « capitalisme
de l'imprimé » qui provoque l'essor de ce sentiment.
L'existence d'une langue commune permet en effet aux individus de
prendre conscience qu'ils appartiennent une communauté spécifique
de lecteurs, limitée dans l'espace.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Le
modèle créole</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Ces
observations ne sont néanmoins pas suffisantes pour expliquer le
développement de certains nationalismes. Ainsi Anderson se
penche-t-il sur la question créole qui peut faire figure de modèle :
les habitants des Amériques qui obtiennent leur indépendance
vis-à-vis des puissances européennes à la fin du dix-huitième
siècle parlaient la même langue que ceux qu'ils désignaient comme
des « oppresseurs » et étaient originaires de ces
lointaines terres. En outre, Anderson remarque que les États libres
qui se constituent une fois la tutelle européenne levée suivent le
même tracé que les provinces coloniales. Deux facteurs expliquent
alors la formation de nationalismes créoles ainsi limités. Tout
d'abord, le découpage administratif colonial respecte en Amérique
du Sud une certaine logique géographique, les communications à
l'époque préindustrielle entre les différentes provinces
américaines de l'Empire espagnol sont très malaisées. Par exemple,
il faut quatre mois pour se rendre de Buenos Aires à Acapulco.
Ensuite, Madrid impose que toutes les marchandises échangées entre
pays de l'Empire transitent par l'Espagne et soient convoyées par
des compagnies ibériques. Ces divers éléments donnent à l'entité
administrative un caractère réel : dans les faits les
provinces sont bien séparées et le nationalisme se définit donc à
l'intérieur de ces limites.
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Anderson
emprunte à Victor Turner la notion de « voyages » comme
« expériences créatrices de sens » pour expliquer
l'émergence des nationalismes créoles, mais aussi asiatiques ou
africains. Le passage a un système pouvoir absolutiste suppose un
renouvellement des élites composant l'appareil de pouvoir : les
nobles, dont al légitimité est fondée sur la naissance sont
remplacés dans des proportions variables par des <i>homines novi</i>
qui tirent leur légitimité de leur compétence. Ceux-ci ne sont pas
attachés à un domaine et sont donc interchangeables, d'autant plus
qu'ils partagent une langue administrative commune. Au cours de leur
pèlerinage, ces fonctionnaires prennent conscience qu'ils font
partie d'un groupe. Dans le cas de l'Amérique espagnole, les
trajectoires des Créoles sont limitées à la fois verticalement –
ils peuvent en droit, mais non en faits, accéder aux postes
métropolitains – et horizontalement – un fonctionnaire mexicain
ne peut accéder à un poste au Chili.. Ce phénomène est un autre
élément qui explique l'émergence de nationalismes affirmant un
particularisme à la fois vis-à-vis de la « métropole »
et des autres entités administratives du continent américain.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
En outre,
l'essor d'une presse localisée, destinée à un groupe de lecteurs
limité par exemple à l'Argentine au Mexique, est un facteur
important de définition du nationalisme : le journal
« imagine » une communauté mexicaine et la donne à voir
à son lectorat. Il a un rôle dévoilant. Tous ces facteurs
expliquent l'émergence d’un sentiment nationaliste qui conduit à
la lutte pour l'indépendance et à son acquisition à la fin du
dix-huitième siècle.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Le
modèle européen</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Un
nationalisme d'un type différent s'exprime en Europe au dix-neuvième
siècle : celui-ci se distingue par l'importance qu'y tient la
langue d'imprimerie, mais également par le poids qu'exercent les
modèles américain et français.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Très
vite, la formalisation d'une langue au travers de la rédaction de
grammaires, sa pérennisation, l'affirmation de ses origines
historiques et sa mise en équivalence avec d'autres idiomes grâce
aux dictionnaires bilingues devient un enjeu majeur de la définition
d'une nation imaginée ; la production littéraire représentant
stade final de ce processus qui relève à la fois de la création et
de la mise en évidence d'une langue au travers de l'imprimé.
Celle-ci donne une légitimité à la fois historique et
contemporaine à la communauté.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Au
dix-neuvième siècle, la complexification des appareils étatiques
ainsi que l'essor du commerce et de l'industrie supposent l'adoption
d'une langue officielle vernaculaire – le latin se prêtant mal à
ces deux derniers types d'activité : or, ce choix est
d'importance puisque les populations parlant l'idiome retenu se
trouvent naturellement avantagées sur les autres. Dans un premier
temps, l'adoption d'une langue officielle est davantage une nécessité
administrative qu'un moyen de domination d'un groupe linguistique sur
un autre. Ce n'est qu'au dix-neuvième siècle qu'est menée une
politique consciente d'affirmation de la langue commune dans les
Empires comptant plusieurs groupes linguistiques.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Par
ailleurs, après la Première guerre mondiale, l'État-Nation
s'impose en Europe commune norme, suite à la dissolution des Empires
dynastiques et la création de la Société des Nations. Toutefois,
ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale, qu'une pléiade de
nouveaux Etats-Nations apparaissent avec les indépendances
coloniales. Les puissances européennes en « nationalisant »
les populations colonisées éveillent en fait une conscience
nationale qui les mène à l'indépendance. Les intelligentsias
bilingues jouent alors un rôle prépondérant, « court-circuitant »
par le biais de l'imprimé le nationalisme officiel et affirmant
l'existence d'une nation qui suit les frontières de l'ancienne
colonie. De manière ironique, le nationalisme colonial est donc un
produit du nationalisme officiel des états impérialistes.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Le
langage comme ciment universel des communautés imaginées</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Anderson
tente de déterminer ce qui fonde l'attachement des individus à la
communauté imaginée et conclut que c'est le langage. Celui-ci est
profondément ancré en l'homme, seul être doué du <i>logos</i> :
<i>h</i><i>omo sapiens est </i><i>h</i><i>omo dicens</i>. Parce
qu'elle touche l'affectivité de l'individu, la langue créé
l'attachement à la communauté linguistique.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Conclusion
de 1983</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Dans ce
qui est la conclusion de l'ouvrage publié en 1983, « L'Ange de
l'Histoire », Anderson revient sur le paradoxe qu'il soulevait
en introduction : le nationalisme est transversal à toutes les
idéologies et la plupart des révolutions marxistes ont été menées
au nom de la cause nationale. Anderson trouve une réponse dans la
force du nationalisme en tant que modèle : il existe a une
inertie forte dans l'histoire ; les révolutionnaires ne peuvent
pas repartir de rien et prennent le contrôle d'un Etat qui a un
passé. Dès lors, les structures de gouvernement sont déjà
établies et il est quasiment nécessaire de s'en servir pour les
nouveaux maîtres du pouvoir. C'est pourquoi les bolcheviks font de
Moscou leur capitale, et s'installent au Kremlin. L'exaltation du
« nationalisme populaire » par les anciennes élites dans
une entreprise machiavélique de manipulation des masses est un autre
de ces éléments dont les nouvelles « directions »
héritent. Ainsi en font-elles usage, comme du reste.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Conclusion
de 1991</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Le
neuvième chapitre, « Recensement, carte, musée », est
une addition à l'ouvrage paru en 1983 : Anderson dépeint dans
l'édition originale du livre le nationalisme colonial comme une
résultante de l'imposition d'un nationalisme officiel similaire à
celui qui s'affirme en Europe ; il tente de dégager ici les
particularités du fait nationaliste colonial qui selon lui trouve
ses racines dans « l'imaginaire de l'état colonial ».
Anderson s'attache à démontrer en quoi les éléments attestent
d'une pensée européenne totalisante, classificatrice. Ce trait est
flagrant dans la logique du recensement, qui consiste à déterminer
de façon plus ou moins arbitraire à quel groupe appartient un
individu. La volonté absolue de pouvoir ranger chacun dans une case
apparaît dans la classe « Autres » qui existe dans la
plupart des recensements coloniaux de la fin du dix-neuvième et du
vingtième siècles. La carte est utilisée par les Européens comme
un moyen de légitimation de leur domination sur la colonie :
les cartes historiques « mettent en évidence » l'unité
territoriale réelle ou imaginée de zones qui se voient ainsi
chargées d'un héritage, qui est repris par les Etats-Nations
indépendants. En outre, la carte joue selon Anderson le rôle de
« logo » : par exemple, le tracé de l'Empire
français ou anglais, mis en valeur par des couleurs qui distinguent
clairement les zones d'influences, devient un motif de fierté ;
la carte est affichée dans les écoles de la métropole et ses
contours sont connus par tous. Le phénomène est le même dans les
colonies où « le logo-carte pénétra profondément
l'imagination populaire, formant un puissant emblème pour tous les
nationalismes anticoloniaux ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
La mise
en valeur du patrimoine des pays colonisés s'inscrit dans la même
logique : le patrimoine est utilisé par les Européens comme
moyen d'assurer leur position mais joue un rôle dans la définition
des nationalismes coloniaux. Ainsi, les Etats coloniaux se livrent à
de nombreuses fouilles à partir du dix-neuvième siècle :
exhumer de magnifiques monuments qui contrastent tant avec la
pauvreté locale leur permet d'affirmer implicitement la décadence
des peuples qu'ils dominent, mais surtout, la réhabilitation de ces
lieux anciens doit apporter au pays colonisateur du prestige ;
en reconstruisant ces merveilles, on en devient en quelque sorte
dépositaire. L'Etat colonial met en avant ces lieux au travers des
livres, timbres et autres méthodes de diffusion de masse pour en
faire de nouveaux « logos ». Or, ces trésors deviendront
des symboles de l'appartenance à une nation millénaire pour les
mouvements nationalistes anticoloniaux.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>Commentaires</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
La
publication en 1983 de <i>L'imaginaire national : réflexions
sur l'origine et l'essor du nationalisme</i> a eu un retentissement
important et l'ouvrage a été autant critiqué que loué. On
reprocha par exemple au livre d'Anderson d'établir un schéma global
d'interprétation du nationalisme en négligeant d'importantes zones
géographiques.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Ainsi,
Fadia Rafeedie critique le fait que <i>L'imaginaire national </i>occulte
totalement la question du nationalisme arabe. Elle constate en effet
que l'Arabe littéraire, langue sacrée, est encore en usage de nos
jours ; la situation diffère donc de celle de l'Europe où le
latin n'est que très peu utilisé même au sein de la production
littéraire depuis plusieurs siècles. En outre, Fadia Rafeedie note
que l'affaiblissement de la religion – qu'Anderson considère comme
l'une des facettes laissant le champ libre à l'apparition du
sentiment national – n'est pas un phénomène comparable dans le
monde arabe et dans l'Eure. Enfin, la définition d'une identité
arabe serait bien antérieure à celle des nationalismes européens
qui sont modernes.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" class="western" style="margin-bottom: 0cm;">
Par
ailleurs, l'approche de Benedict Anderson est souvent opposée à
celle de Liah Greenfeld, professeur de sciences politiques et de
sociologie à l'université de Boston. Là où Anderson a une vision
proche du matérialisme historique de Marx – puisqu'il explique
l'émergence historique du nationalisme par la conjonction d'un
certain non de facteurs matériels – Liah Greenfeld adopte une
démarche proche de l'individualisme méthodologique dans son ouvrage
<i>Nationalism : Five </i><i>R</i><i>oads to Modernity</i>
(1992). En effet, elle développe l'idée selon laquelle le
nationalisme serait apparu au dix-septième siècle en Angleterre :
selon elle, le mot « nation » ne renvoie pas à l'origine
à un peuple dans ensemble, mais avant tout à une élite sociale et
culturelle. Cette élite bourgeoise, pour se prévenir d'un retour
l'aristocratie décide de mettre la population de son côté en
faisant du mot de « nation » un synonyme de « peuple » :
« un terme qui faisait directement référence, aussi bien en
anglais que dans les autres langues, aux plus basses couches de la
société [...], la populace ou la plèbe ». Celle-ci se trouve
donc hissée au même niveau que l'élite et l'idée d'une
représentation politique du peuple en découle. C'est ainsi que
l'Etat moderne, c'est-à-dire l'Etat libéral, naît. Les thèses
d'Anderson et de Greenfeld s'opposent donc radicalement : pour
le premier, le nationalisme est le fruit de la modernité – l'essor
du capitalisme de l'imprimé, et l'affaiblissement de valeurs
anciennes – tandis que pour sa collègue de Boston la modernité
politique découle du nationalisme. En outre, le national n'a pas la
même valeur chez les deux auteurs puisque pour Anderson il est
produit d'une « politique systématique, voire machiavélique,
d'instillation de l'idéologie nationaliste à travers les médias,
le système éducatif, les règles administratives » tandis
que pour Greenfeld il s'agit avant tout d'une invention contingente
qui a connu un succès grandissant.</div>
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<u><b>L'auteur</b></u>
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Poilu, engagé sur le front de la
mi-octobre 1914 à février 1917, Jean Norton Cru a participé à la
bataille de Verdun en juin 1916 et janvier 1917. Il doit à son
bilinguisme – sa mère est anglaise, son père ardéchois –
d’être affecté à l’arrière, d’abord comme traducteur puis
comme formateur d’interprètes, avant de partir en mission aux
Etats-Unis.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Jean Norton Cru a rejoint la France
après le déclenchement des hostilités, répondant simplement sans
hésitation à son ordre de mobilisation. Son baptême du feu en
octobre 1914 est pour lui l’écroulement de toutes ses idées sur
la guerre. Comme il écrit, « notre baptême du feu, à tous,
fut une initiation tragique ». En fait, il s'agit pour lui de
la découverte du mensonge, celui qui avait permis de faire partir si
facilement des millions d’Européens en août 1914 : « sur
le courage, le patriotisme, le sacrifice, la mort, on nous avait
trompés, et aux premières balles nous reconnaissions tout à coup
le mensonge de l’anecdote, de l’histoire, de la littérature, de
l’art, des bavardages de vétérans et des discours officiels. »</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
En 1930, écœuré par toute la
littérature de guerre qui pullule dès le temps de la guerre puis
dans les années vingt, Norton Cru fait paraître <i>Du témoignage</i>,
conçu comme un résumé de son livre <i>Témoins</i>, paru à compte
d’auteur en 1929.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<u><b>L'ouvrage</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Dans <i>Du témoignage</i>, Jean
Norton Cru insiste sur le fait que les anciens combattants eux-mêmes
participent, ceux de 1914 comme ceux des guerres précédentes, à la
réécriture de la guerre, par omission, déformation et
« aseptisation ». Ce processus est déjà à l’œuvre
du temps même de la guerre : les permissionnaires ne racontent
pas tout ; de même dans leurs lettres, les poilus camouflent
fréquemment la réalité crue de leur quotidien et se conforment à
la vision – rassurante – attendue à l’arrière par les
proches. Toutefois, le niveau d’horreur atteint pendant la Grande
Guerre et le nombre de personnes qu’elle touche font que le
mensonge est plus difficile à perpétuer : certains s'enferment
dans le silence, ne racontant jamais leur guerre tandis que d’autres
tentent de briser le mensonge et de raconter la guerre telle qu’elle
avait été.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
L’auteur veut s’attaquer à
« l’inconcevable ignorance » et montrer le vrai visage
de la guerre. Son témoignage et sa critique des témoignages a un
but bien clair et jamais dissimulé : éviter le retour du
conflit. Norton Cru est un pacifiste chrétien et ne le cache pas et
ce dès le temps de la guerre. En janvier 1917 il écrit depuis
Verdun : « si nous avons encore la guerre au vingtième
siècle, c’est parce que les hommes ont trop entretenu cette
fameuse beauté du carnage. Nous devons tous dire <i>mea culpa</i> et
non constamment <i>t</i><i>ua culpa</i> ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Norton Cru veut montrer la guerre
telle qu’elle est : affreuse au point de vacciner les hommes
contre l’envie de la faire. Il s'agit de la même logique à
l’œuvre dans le <i>J’accuse</i> d’Abel Gance où le
protagoniste essaie d’éviter la guerre en en montrant l’horreur
par le défilé des morts et des gueules cassées, témoins
malheureux de cette horreur, que Gance fait défiler à l’écran –
ce sont de vrais mutilés de guerre et anciens combattants français.
D’ailleurs, tout comme le protagoniste de <i>J’accuse</i> s’était
autrefois engagé, avant un assaut, auprès de ses camarades de
tranchées à empêcher le retour de la guerre pour qu’ils ne
soient pas morts en vain, c’est : « là, dans ma
tranchée, [que] je [Jean Norton Cru] fis le serment solennel de ne
jamais soutenir ces mensonges, et, si Dieu me sauvait la vie, de
rapporter la relation sincère et véridique de mon expérience. (…)
j’ai juré de ne pas trahir mes camarades en peignant l’angoisse
sous les couleurs brillantes du sentiment héroïque et
chevaleresque. ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Depuis les tranchées déjà il
écrit : « Si j’ai un espoir c’est que cette guerre fera
naître une littérature réaliste des combats, dues à la plume des
combattants eux-mêmes, à la plume des survivants et à celle des
morts ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
C’est pour que l’historien
puisse un jour discerner les bons témoins, les témoins probes au
milieu de la boue mensongère des écrits sur la guerre qui vient de
se terminer que Jean Norton Cru entreprend ce travail énorme de
recensement, critique comparative qui donne naissance à <i>Témoins</i>.
Son livre est refusé par tous les éditeurs tant il bouscule d'idées
reçues, s’attaquant sans crainte à Barbusse, Dorgelès ou encore
Remarque dont les livres pourtant sont alors des best-sellers. On ne
peut s’empêcher de penser à <i>L’Idiot</i> de Dostoïevski :
« En ce qui concerne les relations des témoins en général,
on croit plus volontiers un grossier menteur ou un plaisantin qu’un
homme de mérite digne de respect. ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<u><b>Principaux thèmes</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<u>Contre l’histoire militaire
traditionnelle – histoire-bataille</u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
« L’histoire militaire n’est
qu’un tissu de fictions et de légendes, elle n’est qu’une
forme de l’invention littéraire et la réalité est pour bien peu
de chose dans l’affaire » écrit Pawlowski dans <i>Dans les
rides du front</i> que Jean Norton Cru cite en épigraphe.</div>
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<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
L’histoire militaire est celle des
batailles, des tranchées prises tel jour, à tel moment par tel
groupe d’armée. Cette histoire est fallacieuse car ses sources
sont fausses : ce sont les ordres, les messages reçus par
l’état-major. Or les ordres n’existent pas au front, mais
seulement à la caserne où il sont donnés, transmis et exécutés.
Au front, l’ordre n’arrive que rarement à son destinataire et
s’il arrive, il est bien souvent déformé et totalement détaché
de la réalité, soit que celle-ci était déjà bien différente de
celle que s’imaginait l’officier lorsqu’il donna l’ordre,
soit qu’elle avait eu le temps de changer entre l’émission de
l’ordre et son arrivée à destination. Jean Norton Cru met ici le
doigt sur le problème de la transmission des informations en temps
de guerre : difficultés matérielles ou physiques – câbles
de télégraphe ou de téléphone coupés, estafette tuée etc. –
et déformations successives, plus ou moins volontaires à chaque
échelon : « c’est la règle dans l’armée de tromper
les chefs par crainte de leur déplaire ». Enfin, l’ordre est
rarement exécuté, et heureusement : « si les ordres
avaient toujours été obéis à la lettre, on aurait massacré toute
l’armée française avant août 1915 ». Pour connaître la
guerre il faut étudier ce qu’en ont dit non les officiers
d’état-major mais les combattants. En effet, « le combattant
a des vues courtes […] mais parce que ces vues sont étroites,
elles sont précises ; parce qu’elles sont bornées, elles
sont nettes. Il ne voit pas grand chose, mais il voit bien ce qu’il
voit. Parce que ses yeux et non ceux des autres le renseignent, il
voit ce qui est ».</div>
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<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<u>S’attaquer aux légendes</u></div>
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<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
« Non, la guerre n’est pas
une lutte ». Jean Norton Cru s’attaque au mythe de la guerre comme
lutte d’homme à homme. Les pays luttent les uns contre les autres,
des armées mais jamais les soldats. La guerre n’est qu’une série
de ripostes dans laquelle le soldat est successivement victime et
bourreau mais jamais duelliste opposé à son adversaire –
l’infanterie A tombe sous les balles d’une mitraillette B,
l’artillerie de tranchée A détruit la mitraillette B,
l’artillerie de campagne B attaque l’artillerie de tranchée
A, l’artillerie lourde A allonge le tir sur l’artillerie de
campagne B.</div>
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<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Le mythe de la charge : non, on ne
chargeait pas en colonnes serrées, ou alors seulement au début de
la guerre car l’efficacité de la mitrailleuse était bien trop
terrible.</div>
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<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Le mythe de la baïonnette, arme
favorite du poilu : on l’utilisa bien peu et elle fut plus
dangereuse pour son propriétaire que pour l’adversaire.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Le courage opposé à la peur :
« tous les soldats sans exception ont peur, et la grande
majorité fait preuve d’un courage admirable car, en dépit de la
peur, ils accomplissent leur tâche ».</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
La suprématie de l’offensive : selon J.
Norton Cru, pour l’avenir, le bon sens dicte l’abandon d’une
stratégie offensive et le choix résolu d’une logique défensive
qui mettrait fin aux velléités guerrières en rendant illusoire
toute percée de la ligne défensive.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
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<u><b>Controverses
historiographiques</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Jean Norton Cru s’est retrouvé au
cœur des querelles entre historiens Péronnais – Stéphane
Audoin-Rouzeau et Annette Becker – et Toulousains (Frédéric
Rousseau).</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
En effet <i>Témoins</i> a été
republié en 1993 par les Presses Universitaires de Nancy. Jean
Pierre Rioux dans un article du <i>Monde</i> du 19 mars 1993 salue la
republication d’« un grand, un très grand livre, à la
hauteur de la catastrophe dont il procède ». Le livre a d'ailleurs
toujours été précieusement utilisé par les historiens, y compris
Audoin-Rouzeau, comme outil de travail.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Pourtant les historiens de Péronne
ne l’ont pas accueilli avec le même enthousiasme. Annette Becker
dans la revue <i>Guerres mondiales et conflits contemporains</i> en
critique la valeur scientifique : « Norton Cru avait une
vision de la guerre qui ne coïncidait pas toujours avec celle de
l’historiographie contemporaine. C’était son droit. Il croyait
que c’était son devoir de dénoncer et les mythes de la guerre et
la guerre elle-même et pour cela il n’a pas hésité à choisir
les extraits de textes qui lui convenaient ». On peut
s’étonner, avec Frédéric Rousseau et Antoine Prost<sup> </sup>dans
<i>Le procès des témoins de la Grande Guerre : </i><i>l</i><i>’affaire
Norton Cru</i> paru en 2003 de cette critique de la méthode de Jean
Norton Cru qui a au contraire était louée à la sortie du livre par
Charles Delvert, Pierre Renouvin ou Septime Gorceix et Jules Isaac.
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Par ailleurs Annette Becker, dans
<i>Les oubliés de la Grande Guerre</i> fait de Jean Norton Cru et de
<i>Témoins</i> des symboles du passage du « consentement
exalté » à un « pacifisme douloureux »
d’après-guerre. Force est de constater tout d’abord avec
Frédéric Rousseau que le pacifisme de Jean Norton Cru n’est pas
d’après-guerre mais qu’il naît dans les tranchées mêmes, au
moins dés 1916. On rejoint ici la critique d'Antoine Prost qui
invite les historiens de Péronne à une chronologie plus fine du
conflit.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Ensuite, Jean Norton Cru a été
pris dans la dénonciation par Péronne de la « dictature du
témoignage » dont auraient souffert les historiens de la
Grande Guerre jusqu’à la dite « révolution
historiographique ». Jean Norton Cru n’est-il pas le premier
des témoins, celui qui avait appelé au témoignage des combattants,
seuls détenteurs de la vérité ? Or selon Péronne les témoins
sont coupables d’ « aseptisation » : Jean Norton
Cru qui critique chez Barbusse son goût pour les flots de sang, sa
mise en scène des cadavres dans les positions les plus variées
n’incarne-t-il pas cette tendance à l’aseptisation ?
Cependant comment prétendre savoir mieux que Jean Norton Cru ce
qu’il a vu ? Lui-même ne nie pas d’ailleurs des cas
similaires à ceux que décrit Barbusse : il a lui aussi vu, et
le raconte, le corps d’un soldat pendu aux branches d’un arbre où
il avait été projeté par un obus. Il critique cependant
l’exagération de Barbusse qui, s’il s’attaque lui aussi au
mythe de la guerre, ne concourt pas pour autant à l’établissement
de la vérité mais ne fait que substituer une image fausse à une
autre.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
En réponse à ces attaques,
Frédéric Rousseau, dans <i>Le procès des témoins de la Grande
Guerre, l’affaire Norton Cru</i> réhabilite pleinement Norton Cru,
reconnaissant ses faiblesses – son manque de sensibilité
littéraire, ses quelques erreurs d’appréciations dont Barbusse et
Dorgelès furent les victimes, son engagement pour la paix qui ôte
une certaine scientificité à l’œuvre – mais louant sa méthode
critique exemplaire et d’ailleurs largement reconnue en dehors de
Péronne.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Enfin, Jean Norton Cru a été
accusé d’être le premier négationniste, notamment par Christophe
Prochasson qui dans un article de la <i>Revue d'histoire moderne et
contemporaine </i>de 2001 dénonce sa « conception intégriste
de la vérité historique ». S'il est certain que cette attaque
est parfaitement infondée, il est vrai que Jean Norton Cru, bien
malgré lui, a été récupéré par les négationnistes, même de
façon systématique, Jean Norton Cru devenant une référence
obligatoire au sein de cette « école ». Evidemment cette
attaque se prête parfaitement à une récupération par Péronne :
Jean Norton Cru nie la violence, nie le sang, nie la mort donnée et
insiste sur l’anonymat de la mort. En somme, il aseptise.</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" class="western">
Frédéric Rousseau conclut son
livre en citant un ancien combattant jugeant Jean Norton Cru :
« Monsieur Cru a servi la vérité, oui : la vérité. Il
a réduit à néant les témoignages des menteurs, de tous ceux qui
ne sont rien d’autres que des menteurs, par lâcheté, paresse ou
profession ».</div>
100 fiches de lecturehttp://www.blogger.com/profile/08519664916714893544noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1215650165437180815.post-13908511562018214152015-04-13T07:30:00.000+02:002015-04-13T09:29:44.613+02:00Antoine Garapon, Bien juger : essai sur le rituel judiciaire (1997)
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’auteur</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Antoine Garapon, né en
1952, est magistrat, membre du comité de rédaction de la revue
<i>Esprit</i> et fondateur de l'Institut des hautes études sur la
justice. Depuis le début des années deux mille, il est l'auteur
d'une vingtaine d'ouvrages sur la justice.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u><b>L’ouvrage</b></u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Introduction</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Dans cet ouvrage, Antoine
Garapon s'interroge sur la place occupée par les rites dans la vie
juridique.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Il initie sa réflexion
par une distinction entre la justice comme valeur morale et
politique, la justice comme acte de juger. Il insiste sur le fait
qu'avant d'être une faculté morale, juger est un événement. Pour
rendre justice, il faut parler, témoigner, prouver, argumenter,
écouter et décider. Or ceci nécessite d'être en situation de
juger. Le rituel judiciaire, en délimitant un espace, un temps, en
instituant des acteurs et en fixant un objectif remplit cette
fonction.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Toutefois, dans certaines
circonstances, le rituel judiciaire produit un effet inverse à celui
souhaité initialement et conduit à l'injustice plutôt qu'à la
justice. Il arrive alors que la justice se fasse de manière <span style="font-family: Times New Roman, serif;">«
</span>informelle <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span> ou
qu'elle se trouve délocalisée dans les médias, ce qui n'est pas
sans dangers. C'est pourquoi, Antoine Garapon préfère quant à lui
se faire l'avocat du <span style="font-family: Times New Roman, serif;">« </span><span style="font-family: Times New Roman, serif;">bien
</span>juger <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Le rituel judiciaire</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Dans la première partie
de son ouvrage, Antoine Garapon consacre un chapitre à chaque rite
du procès que sont l'espace, le temps, la robe, les acteurs, le
geste et la parole judiciaires. De l'examen détaillé de chacun de
ces rites se dégagent deux idées forces : d'une part, dans les
pays latins, l'imaginaire juridique renvoie dans une certaine mesure
à une confrontation avec le sacré ; d'autre part, le procès
apparaît à certains égards comme une manière de préserve l'ordre
social en créant de l'ordre à partir du désordre.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Le symbolisme juridique
emprunte en effet à la nature et au religieux : les choix des lieux
de justice seraient désignés par les dieux – selon Carbonnier, <span style="font-family: Times New Roman, serif;">«
</span><span style="font-family: Times New Roman, serif;">l</span>es arbres attirent
le charisme divin et le transmettent aux magistrats qui sont assis à
leur ombre <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>. Puis, au
début du dix-septième siècle, le temple de justice s'apparente à
un lieu sacré : la hiérarchisation de la justice, matérialisée
notamment par une surélévation des bureaux des juges ou par
l'existence de marches devant les maisons de justice, évoque la
recherche d'un contact entre les hommes et le ciel.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Concernant le geste
judiciaire, la forme du serment – la main levée et nue, n'est pas
sans évoquer un contact avec la puissance et le sacré.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
L'espace judiciaire
symbolise quant à lui l'ordre. Il correspond en effet à une
superposition de différentes enceintes qui renferment chacune un
ordre plus contraignant. Il reconstruit un intérieur qui incarne
l'ordre absolu face à la déréliction de la société.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Le temps judiciaire
s'apparente lui aussi à une régénération de l’ordre, du moins
en matière pénale. Le rythme judiciaire se décompose ainsi en
trois temps : tout d'abord, le retour au chaos – l'exposé public
des faits – puis l'affrontement entre le bien et le mal –
réquisitoire et plaidoirie – et enfin, le retour à la paix – le
jugement.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Enfin, la parole
judiciaire obéit à cette même logique de re-création de l'ordre.
Les débats judiciaires représentent le <i>y</i><i>âgon</i> par
opposition au <i>pol</i><i>e</i><i>mos</i>, c'est-à-dire la
rationalisation de la violence dans un cadre institué par opposition
à l’affrontement direct de forces dont tout code est absent. Dans
les débats, il n’importe pas que le discours soit conforme à la
réalité mais qu'il présente en lui- même une logique parfaite,
une cohérence plus réelle que la réalité elle-même.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Le passage à la
justice démocratique</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Le passage à la justice
démocratique, née à l’intersection de deux histoires distinctes
– celle du passage d'une hétéronomie à une autonomie symbolique
d'une part et celle de la dissociation progressive de la justice
d'avec le pouvoir politique d'autre part – constitue une étape clé
dans l'histoire des rites juridiques. En effet, la place occupée
jusqu'alors par l'officiel religieux est laissée vacante. Si les
symboles sont alors appelés en renfort pour réintroduire la
distance que la société démocratique ne trouve plus dans la
transcendance, ceux-ci ne mettent pas la société à l'abri de
certaines dérives.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Cette forme du procès
moderne est anticipée dès le cinquième siècle av. J.-C. par
Eschyle qui dans <i>Les </i><i>E</i><i>uménides</i> met en scène la
naissance du procès moderne, c'est-à-dire le passage de la parole
magico-religieuse au débat démocratique. Les serments qui
tranchaient par la force religieuse cèdent la place à la discussion
qui permet à la raison d'exposer ses arguments, offrant l'occasion
au juge de se faire une opinion après avoir entendu le pour et le
contre.
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Cela n'est pour autant
pas toujours garanti. En effet, il arrive que dans certaines
circonstances, le rituel judiciaire, a priori destiné à établir
une distance nécessaire ne puisse garantir la justice. C'est par
exemple le cas de la parodie que représente le procès stalinien. Le
rituel judiciaire est ici dévoyé. Tout est mis en scène, le
verdict importe peu : la condamnation précède le procès – les <span style="font-family: Times New Roman, serif;">«</span><span style="font-family: Times New Roman, serif;">
</span>livrets de mise en scène <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>
détaillent au préalable chaque intervention. Le rituel semble alors
à l'origine d'une injustice odieuse et criante</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>De l'Etat providence à
l'Etat pénal</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Un autre cas de
détournement du rituel judiciaire est à l’œuvre dans nos
sociétés contemporaines quand la justice devient un simple moyen
pour les citoyens d'exprimer leur colère – par exemple celle
d'avoir perdu le contrôle sur leurs rues et quartiers – et que
l'auteur nomme la <span style="font-family: Times New Roman, serif;">« justice
expressive ».</span></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Antoine Garapon cite à
ce propos, l'évolution qu'a connu le droit pénal depuis la fin des
Trente Glorieuses. Il constate en effet que ce dernier est devenu un
moyen pour nos sociétés modernes d'exorciser leurs difficultés, ce
qu'atteste l'extension du champ de la justice pénale à des
catégories de populations comme les médecins ou les hommes
politiques ou encore l'intensification de la répression pénale. La
justice pénale est devenue l'arme de contrôle, voire de destruction
de tout pouvoir rendu systématiquement suspect. Le nouveau statut
symbolique attaché à la justice laisse alors entrevoir un nouveau
risque : celui de la perte de la maîtrise du dispositif symbolique.
Le procès devient une sorte de machine infernale qui se retourne
contre celui qui ne l'a conçu que pour</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
sa propre défense ; ce
processus aboutit <i>in fine</i> à une réévaluation du statut de
victime et à une dévaluation de celui du souverain.
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Les remèdes</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Face à ces phénomènes,
des expériences ont été entreprises afin d'accorder une moindre
place au</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
rituel, ce dernier étant
perçu comme responsable des dérives.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
La première de cette
entreprise est la <span style="font-family: Times New Roman, serif;">« justice
informelle ». Aux origines de la justice, </span>il est en effet
apparu nécessaire de canaliser la <span style="font-family: Times New Roman, serif;">«
</span>violence impure <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>
d'un crime par une <span style="font-family: Times New Roman, serif;">« </span>violence
pure <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>. En effet, dans la
mesure où la violence s'apparente à un processus infini qui appelle
sans cesse une violence supérieure et où prétendre maîtriser la
violence par la violence n'est qu'enfermement dans l'escalade de la
vengeance, il est apparu nécessaire à la société de réagir en
trompant la vengeance. Le sacrifice a été la première forme
imaginée pour contenir cette violence grâce au spectacle d'une
autre violence déviée sur un être sans défense. Puis,
progressivement, le système judiciaire s'est substitué au sacrifice
pour remplir cette fonction. Toutefois, le problème vient de ce que
la pratique peut s'user et ne plus remplir sa fonction d'élimination
rituelle de la violence, menaçant ainsi la société d'un
envahissement de la vengeance infinie, ce que René Girard appelle la
<span style="font-family: Times New Roman, serif;">« </span>crise sacrificielle <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>.
L'accusé est alors écrasé par le cérémonial et l'on assiste à
des <span style="font-family: Times New Roman, serif;">« </span>cérémonies
dégradantes <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>. Dans ce
contexte, le mouvement de justice informelle semble devenir un moyen
d'échapper à la dimension sacrificielle a priori inhérente à la
justice. Elle se caractérise par une suppression du symbolisme : les
rapports sociaux, les enquêtes de personnalités, les expertises
psychiatriques sont préférées aux <span style="font-family: Times New Roman, serif;">«
</span>grossière astuces <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>
du rituel judiciaire. Le centre de gravité passe de la salle
d'audience au cabinet du juge. La justice informelle aboutit à un
paradoxe : alors que l'affaiblissement du formalisme dans la justice
de cabinet était censé améliorer le sort des justiciables, il
favorise au contraire un contrôle plus grand de l'Etat. En effet,
privé de ses attributs symboliques qui lui rappellent sa fonction de
représentant, le magistrat est tenté de se consacrer législateur
en s'identifiant à la loi. Finalement, la justice informelle produit
des inquiétudes de trois ordres : une angoisse de la disparition des
repères symboliques, une peur du vide moral, le spectre d'un Etat
qui met sous tutelle douce ses sujets.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Une autre voie pour
compenser les défaillances du rituel consiste à mêler les médias.
L'intrusion des médias dans la justice n'est justifiée par aucun
droit écrit mais par l'évocation d'un <span style="font-family: Times New Roman, serif;">«
</span>droit à la transparence <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>.
Ce dernier procède, selon l'auteur, d'une compréhension naïve de
la démocratie d'après laquelle il faudrait tout voir et tout
montrer, tout de suite et à tout le monde. Antoine Garapon nous met
en garde contre l'effet pervers de ce droit qui pourrait entraîner
la démocratie dans au moins deux impasses. Tout d'abord, les médias
opèrent une délocalisation de l'espace, une dislocation du temps –
tout différé est suspect alors qu'il se révèle parfois nécessaire
à la découverte de la vérité – une disqualification des acteurs
– confusion des auditoires de justice qui, en valorisant l'opinion
publique au détriment des parties et de la communauté des juristes,
fait la part trop belle à l'émotion et à l'ignorance – une
dépolitisation du sujet, une mise sur le même plan d'une violence
institutionnelle et de la violence tout court, et enfin une
désintégration de la violence – à la différence de la violence
rapportée par les médias, le rituel judiciaire montre en même
temps le spectacle de la transgression et celui de sa résorption –
annonçant une nouvelle <span style="font-family: Times New Roman, serif;">« </span>crise
sacrificielle <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>,
c'est-à-dire une perte de la différence entre violence impure et
violence purificatrice. En outre, la transparence totale prônée par
les médias relève du fantasme. Grâce à la procédure, forme vide
prête à accueillir toutes les versions des faits, tous les
arguments en leur imposant une certaine éthique de la mise en récit,
le procès contrôle la manière dont les faits sont présentés,
prouvés et interprétés. Au contraire, à la télévision, la
construction de la réalité, qui est implicite – donc subie –
échappe à toute discussion. Les médias se présentent comme des
moyens de représentation plus accessibles, plus fidèles à la
réalité, plus démocratiques que le cadre procédural d'une salle
d'audience. Toutefois, en s'affranchissant de la contrainte de la
procédure, ils s'asservissent au rapport de force que la procédure
cherche à éviter et risquent de donner au plus puissant le choix
des armes et la définition de la règle du jeu – c'est l'illusion
de la démocratie directe.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Le « bien juger »</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Selon l'auteur, tout
laisse à penser que jamais le procès ne pourra être libéré de sa
violence symbolique et de ses éléments archaïques. Par conséquent,
il faut s'efforcer de repenser la justice, non pas contre mais avec
le rituel. Cette entreprise, Antoine Garapon la nomme le <span style="font-family: Times New Roman, serif;">«
</span>bien juger <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span> et
l'oppose à la quête directe de justice.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Le « bien juger »
procède d'une double mise à distance : d'une part, la mise à
distance de la violence première – le cadre rituel permet
d'absorber les émotions, de maintenir éloigné le pouvoir politique
et de mettre à égale distance les parties ; d'autre part, la mise à
distance de l'injustice potentielle de la réponse légale – il
s'agit ici de tenir compte de la déformation que fait subir au cas
sa mise en forme par le procès.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Juger est, selon
l'auteur, un travail permanent de mise à distance commencé par le
rituel et achevé par la parole. Cela nécessite, pour le juge, de
s'arracher à un jugement spontané afin de se faire <span style="font-family: Times New Roman, serif;">«
</span>tiers à soi-même <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>.
Pour autant, ce souci de bien juger n'est pas, pour l'auteur, une
garantie suffisante. A cela, doit s'ajouter une exigence de
motivation sérieuse des jugements.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<u>Conclusion</u></div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Aujourd'hui, la
démocratie semble entretenir une relation ambiguë avec ses symboles
; bien qu'elle en ait besoin, elle ne cesse de s'en méfier.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
Selon Antoine Garapon, le
combat pour la démocratie a changé de camp. En effet, pendant
longtemps, il était conçu comme une lutte pour s'émanciper des
institutions. Aujourd'hui, il se demande s'il ne faudrait pas qu'il
se traduise par une réhabilitation du rituel, cette dernière
permettant de se réconcilier avec le symbolique, dont l'objet
premier serait de marquer la prééminence du collectif sur
l'individuel.</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
<br />
</div>
<div align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;">
A ce titre, l'auteur
évoque la nécessité d'une lutte pour des rites <span style="font-family: Times New Roman, serif;">«
</span>plus vrais <span style="font-family: Times New Roman, serif;">»</span>, la
promotion de signes faisant lien et exprimant un destin commun.</div>
100 fiches de lecturehttp://www.blogger.com/profile/08519664916714893544noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1215650165437180815.post-49093839657431617542015-04-07T14:28:00.000+02:002015-04-28T10:33:48.002+02:00Mircea Eliade, Le sacré et le profane (1957)<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<u><b>L'auteur</b></u></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Historien des religions et romancier
roumain, Mircea Eliade (1907-1986) a vécu en Inde où il a préparé
une thèse de doctorat sur le yoga. Il enseigna la philosophie à
Bucarest avant de devenir professeur à Paris (1946) puis à Chicago
(1956) où il devint titulaire de la chaire d'histoire des religions.
Il parlait et écrivait couramment en huit langues mais la majeure
partie de ses travaux a été écrite en roumain, puis en français
et enfin en anglais. Ses ouvrages en matière d'histoire des
religions – <i>Forêt interdite</i> (1955), <i>Traité d'histoire
des religions</i> (1955) – sont considérés comme des ouvrages
fondateurs.
</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br />
<b><u>L'ouvrage</u></b></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<i>Le sacré et le profane</i> a été une
première fois édité en allemand sous le nom de <i>Das Heilige und
das Profane </i>en 1957 puis réédité en français en 1965 chez
Gallimard. Il s'agit d'une introduction générale à l'histoire des
religions dans laquelle l'auteur décrit les modalités du sacré.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<i>Le sacré et le profane</i> a pour
but essentiel de présenter succinctement ce que l'auteur appelle l'«
<i>homo religiosus</i> » c'est-à-dire la situation de l'homme
religieux dans les sociétés traditionnelles et orientales. Il met
en lumière la dimension complexe du sacré au-delà de son caractère
irrationnel et déplore l'appauvrissement consécutif à la perte du
sentiment religieux.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<u><b>Principaux développements</b></u></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<u>Introduction</u></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Selon Eliade, le sacré est ce qui
n'est pas profane, qui ne fait partie intégrante des objets qui
peuple notre monde naturel.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Un concept clé est celui de «
hiérophanie » définie comme la manière dont le sacré se
présente aux hommes. Il existe plusieurs types de « hiérophanie »
: la hiérophanie simple par laquelle le sacré se manifeste à
travers un objet et la hiérophanie complexe par laquelle le sacré
se manifeste par l'intermédiaire d'une personne – l'incarnation de
Dieu en Jésus-Christ pour les chrétiens par exemple.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Par ailleurs, il existe deux « modes
d'être » dans le monde : celui de l'homme religieux
et celui de l'homme areligieux. Pour les modernes, c'est à dire les
hommes areligieux, l'acte physiologique – qu'il ait trait à
l'alimentation ou la sexualité – n'est qu'un acte alors que pour
le religieux, ce même acte peut devenir un sacrement.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<u>L'espace sacré et la sacralisation du
monde</u></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Eliade commence par s'intéresser aux
manifestations du sacré dans les lieux occupés par les hommes. La
découverte du lieu sacré a un rôle primordial pour l'homme
religieux : cette hiérophanie constitue le « centre du
monde » autour duquel l'homme s'établira. Tout espace sacré sera
différent de l'espace profane et sera détaché du commun des
mortels car considéré comme qualitativement différent.
</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Pour expliquer la place que le sacré
prend dans l'espace de l'homme, l'auteur part d'une vision générale
du monde pour arriver dans la sphère privée ou semi-privée des
individus. Eliade évoque l'opposition originelle entre le « chaos »
et le « cosmos » puisque pour l'homme religieux, le monde n'est pas
homogène. Le cosmos constitue l'espace habité, connu, structuré
créé par les dieux. Le chaos, à l'inverse constitue pour l'homme
religieux tout ce qui est inconnu, profane. Tout</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
homme religieux vit dans le cosmos et
le chaos deviendra le cosmos dès qu'il aura été consacré.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Pour que le monde soit cosmos, il faut
donc que l'espace soit créé par les dieux : c'est la « cosmogonie
». Le cosmos a une importance primordiale dans la vie de l'homme
religieux. En effet, là où le sacré se manifeste, le réel se
dévoile, le monde vient à l'existence. Le monde sacré est le seul
qui existe réellement : c'est le centre du monde. Le reste du monde,
le monde profane, devra alors être combattu – le monde profane est
d'ailleurs souvent personnifié sous la forme d'un dragon.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Pour faire d'un espace un un espace
sacré, seul un signe peut suffire – par exemple la foudre qui
creuse un puits. Lorsque les signes ne se manifestent pas
d'eux-mêmes, l'homme les provoque notamment par l'intermédiaire des
animaux qui lui montreront un lieu susceptible d'accueillir un
sanctuaire ou un village. Dans tous les cas, l'homme n'est pas libre
de déterminer lui-même la sacralité du lieu. Ce signe se
matérialisera alors sous forme d'un « centre du monde »,
un <i>axis mundi </i>où communiquent les trois niveaux cosmiques :
le ciel, la terre, les profondeurs. Une fois le signe manifesté,
l'homme religieux consacre le lieu touché par le signe.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
L'homme essaie alors d'imiter les dieux
dans leur création du monde. Ainsi l'univers de l'homme est-il
toujours la réplique de l'univers des dieux, une réplique de la «
cosmogonie ». Cette consécration à l'image de celle des dieux
permettra à l'homme religieux de communiquer avec ces derniers. Dans
la création d'un univers « mortel », les hommes cherchent à être
de plus en plus près des dieux pour pouvoir communiquer avec eux en
se rapprochant de l'<i>axis mundi</i><i>.</i> Autour de ce centre, se
construira le monde.
</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
L'homme religieux sera alors pris d'un
sentiment d'égocentrisme, dans la mesure où son monde sera alors
pour lui, le centre du monde. Ceci d'autant plus que, dans les
sociétés traditionnelles, l'homme réplique l'image du monde à une
échelle de plus en plus restreinte ; ainsi la construction
d'une maison s'apparentera-t-elle à la construction du cosmos – on
y « tuera le monstre » en y faisant des sacrifices, on
fêtera son arrivée à l'intérieur.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<u>Le temps sacré et les mythes</u></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Pour l'homme religieux, le temps n'est
pas non plus homogène. Il existe le temps sacré, vu comme le temps
des fêtes, et le temps profane, constitué de tous les actes dénués
de portée religieuse. Le temps sacré se caractérise par son
caractère circulaire – indéfiniment répétable et ne constituant
pas une « durée » – alternera donc avec le temps profane – qui
est un temps qui, lui, s'écoule. Même si l'homme profane connaît
des rythmes temporels différents – le temps long et monotone du
travail, le temps court des réjouissances –
aucun temps sacré n'existe. L'homme religieux, à l'inverse, connaît
des temps sacrés par les dieux. Le temps sacré présente des
similitudes avec le cosmos, dans la mesure où ce dernier est vivant,
il naît, se développe et meurt le dernier jour de l'année. L'homme
religieux cherche donc à répéter annuellement la cosmogonie, la
création du monde sacré. À cet égard, la célébration du nouvel
an dans de nombreuses sociétés religieuses constitue la reprise du
temps à son commencement, c'est-à-dire au moment où le monde sacré
a été créé. Par cette célébration, l'homme religieux se
régénère. Il recommence sa vie dès le début, avec les mêmes
forces qu'il avait à la naissance en éradiquant tous les péchés
de l'année. La célébration du nouvel an n'est donc pas un travail
de mémoire, mais un travail de réactualisation d'un temps passé,
de la cosmogonie. Cette réactualisation est le symbole de la
purification d'un temps profane. C'est pour cette raison qu'on
utilise cette purification pour tous les événements importants de
la vie de l'homme religieux – création de territoire, d'une maison
etc. À l'origine du cosmos, seuls les dieux créaient quelque chose.
Par cette réactualisation, les hommes aussi recréent et deviennent
donc les contemporains des dieux. Cette
réactualisation-purification a aussi un rôle important dans les guérisons, du fait de ses
vertus régénératrices : c'est pourquoi les mythes de l'origine des remèdes sont souvent
intégrés aux mythes de création du monde sacré.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Eliade consacre également une place
importante aux mythes. Le mythe raconte une histoire sacrée, ce que
les dieux ont fait au commencement du Monde. Ainsi, le mythe fonde la
vérité absolue. C'est pour cette raison que l'homme religieux
cherche à le reproduire. Cette imitation permet à l'homme de
devenir un homme véritable. L'homme ne doit pas oublier ce qui s'est
passé au commencement. Cette mémoire se construit en réactualisant
les mythes, en transposant ceux-ci dans la vie actuelle par des
rites. En répétant ces modèles divins, l'homme religieux se
maintient dans le sacré et donc dans le réel. Il s'approche des
dieux et participe à la création.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Cette vision cyclique du temps prend
fin avec les religions juive et catholique. En effet, pour la
première le temps a désormais une fin. Jahvé ne se manifeste plus
dans le temps cosmique, mais dans le temps historique. La seconde va
plus loin encore. Le temps historique est marqué par les divers
événements dans la vie du Christ. L'histoire se révèle donc comme
une nouvelle dimension de la présence de Dieu dans le monde.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<u>La sacralité de la nature et la
religion cosmique</u></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Pour l'homme religieux, la nature est
nécessairement dotée d'une dimension religieuse et Eliade montre
comment la sacralité se révèle à travers la nature et les
structures du monde.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Le ciel est tout d'abord un élément
important dans la vie humaine. Il représente la transcendance, la
force et l'éternité. La hauteur est d'ailleurs un facteur de
manifestation du sacré : les dieux se</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
trouvent en hauteur par rapport à
l'homme, puisqu'ils se retirent dans le ciel, s'éloignent de
celui-ci et conquièrent alors leur place sacrée. C'est pour cette
raison que dans de nombreuses religions, les figures divines ont un
nom en rapport avec le ciel, comme « l'habitant du ciel » ou «
celui qui vit dans le ciel ». L'homme, à force de s'intéresser aux
manifestations du sacré dans sa vie de tous les jours, s'éloigne du
dieu. « L'expérience religieuse se fait plus concrète, plus
intimement mêlée à la vie ». L'homme religieux retrouve alors
contact avec les dieux en les implorant en cas de détresse extrême.
Ainsi, seules les catastrophes le poussent à se retourner vers les
dieux. Néanmoins, les symboles célestes continuent d'occuper une
place importante. Le ciel se maintient dans la vie religieuse par le symbolisme – cf.
les rites d'ascension et d'escalade.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Les eaux occupent une place toute aussi
importante dans la vie de l'homme religieux. Cela s'explique par le
fait que les eaux existaient avant la terre et la création du monde.
Les eaux sont purificatrices et régénératrices en ce sens qu'elles
lavent les péchés. Cette place importante se retrouve dans le rite
du baptême. Par celui-ci, le « vieil homme », c'est-à-dire
l'homme profane, meurt par immersion dans l'eau et donne naissance à
un être régénéré – cette immersion peut être vue comme la
répétition du déluge. Ainsi, dans toutes les sociétés
religieuses, l'eau tue pour</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
donner naissance à un être purifié.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Par ailleurs, l'enfantement des humains
par la terre est une croyance universellement répandue. C'est ainsi
que dans certaines sociétés, l'enfant juste né est déposé sur la
terre. Ce rite équivaut à une nouvelle naissance. Dans le même
ordre d'idées, dans les sociétés matriarcales, la femme est
assimilée à la terre du fait de sa capacité à enfanter, à la
différence que la terre-mère est autosuffisante et peut concevoir
sans l'aide d'un « parèdre ».</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
L'arbre est pour sa part le symbole de
la vie, de la jeunesse, de l'immortalité et de la connaissance. Il
symbolise donc tout ce que l'homme religieux considère comme sacré.
D'autres éléments de la nature sont aussi sacrés comme la lune
(inconstance), le soleil (force, intelligence) ou la pierre (dureté,
force, permanence) mais ces éléments ne font pas l'objet de
développements exhaustifs dans l'ouvrage.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Quoi qu'il en soit, l'expérience d'une
Nature désacralisée est récente et a été amorcée par les
intellectuels pour laisser place à ce que l'on appelle « l'émotion
esthétique ».</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<u>Existence humaine et vie sanctifiée</u></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
L'homme religieux est ouvert au monde,
c'est-à-dire qu'il communique avec les dieux et qu'il participe à
la sainteté du monde, notamment en réactualisant le commencement du
monde. En étant ouvert au monde, il reproduit des actes <i>ab initio</i>
pour rendre possible le passage physique ou intellectuel dans un
autre monde. Par exemple, l'ouverture supérieure d'une tour indienne
porte le même nom que l'orifice fait sur le sommet de la tête au
moment de la mort pour que l'âme s'échappe et atteigne un autre
monde.
</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Cette ouverture permettant le passage
d'un monde à un autre se matérialise par les rites de passage. Une
fois né, l'homme n'est pas encore achevé, il doit donc naître une
deuxième fois. L'enfant, lorsqu'il naît, dans certaines sociétés,
n'est pas encore reconnu par la famille ni par la société. Un rite
initiatique devra alors nécessairement être opéré. L'initiation
implique nécessairement la mort de la vie courante pour renaître
dans une vie dite supérieure. Le jeune homme ou la jeune femme sera
mis au ban de la société pendant un temps déterminé –
disparition assimilée à la mort dans l'existence profane – pour
réapparaître, renaître en tant qu'homme ou femme à part entière.
C'est d'ailleurs à cette occasion qu'ils auront accès à leur vrai
nom. Ce rite initiatique permet à l'enfant de passer à l'âge
adulte et d'être reconnu comme un homme à part entière. Ces rites
initiatiques concernent tous les enfants et doivent dans cette
dimension être différenciés des rites d'entrée dans les sociétés
secrètes qui, eux, ne concernent qu'une partie préalablement
choisie. Même si d'une religion à une autre les rites peuvent
revêtir des applications différentes, leur point commun est l'idée
sous-jacente que « l'accès à la vie spirituelle comporte toujours
la mort à la condition profane, suivie d'une nouvelle naissance ».</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<u>Conclusion</u></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
En guise de conclusion, Eliade évoque
la place du sacré et du profane dans le monde moderne. L'homme sacré
croit que la vie a une origine sacrée et il essaie de participer à
la création du monde en réactualisant les actes au commencement.
L'homme areligieux au contraire, refuse la transcendance et accepte
la relativité de la réalité. Il participe au déroulement de
l'Histoire et donc se construit lui-même. Néanmoins, il existe un
lien entre les deux. En effet, l'homme areligieux a été créé par l'homme religieux et il est
« le résultat d'un processus de désacralisation ». Il conserve
donc toutes les traces de l'homme religieux mais en retire le
caractère sacré – fêtes de mariage, de nouvelle année, d'entrée
dans une nouvelle maison etc.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
Le sacré n'a pour autant pas
totalement disparu de nos sociétés modernes : de nombreux films
reprennent les différents motifs ou symboles mythiques – le héros,
la jeune fille, le paysage paradisiaque l'Enfer etc. ; la
lecture comporte également une fonction mythologique, dans la mesure
où « elle projette l'homme moderne hors de sa durée personnelle et
l'intègre à d'autres rythmes, le fait de vivre dans une autre
histoire » ; de la même manière, Marx, même s'il est «
sans-religion », reprend un des grands mythes du monde celui du rôle
rédempteur du Juste – le prolétaire ; la psychanalyse, quant
à elle, réactualise les rites initiatiques dans la mesure où le
patient doit descendre très profondément en lui-même pour renaître
purifié. La religion dans les sociétés modernes paraît donc
toujours plus reléguée au second plan mais cela n'est qu'apparent.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<u><b>Commentaires</b></u></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
En raison de ses engagements proches de
l'extrême droite à la fin des années 1920 et durant les années
1930, plusieurs spécialistes ont toutefois exprimé des réserves à
l'égard du travail intellectuel d'Eliade, le qualifiant de «
pseudo-science » ou le reléguant du côté de la spéculation
métaphysique ou de l'ésotérisme. Néanmoins, certains de ses
concepts, comme celui de « hiérophanie », sont considérés
comme des apports importants à l'histoire des religions et
continuent encore aujourd'hui à susciter la réflexion.</div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<i>Le sacré et le profane</i> a été
écrit en 1957, prenant à contrepied l'idée d'une désacralisation
du réel et d'un recul du fait religieux. Aujourd'hui l'idée que le
religieux continue à se manifester dans les activités apparemment
les plus banales de notre vie quotidienne reste pertinente. En ce
sens, <i>Le sacré et le profane</i> est un ouvrage d'actualité.</div>
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