L'auteur
André Gide (22 novembre
1869 – 19 février 1951) est né et mort à Paris. Fils unique de
Juliette Rondeaux et de Paul Gide, professeur à la faculté de
droit, d'origine protestante, il perd son père en octobre 1880 alors
qu'il n'a pas encore douze ans. Gide est alors très affecté par
cette perte. Durant son enfance, André Gide est principalement
entouré de femmes – sa mère, Anna Shackleton, gouvernante de sa
mère et confidente d'André Gide, les domestiques, sa tante et ses
trois cousines. Gide se révèle un enfant fragile et doué qui ne
supporte que très difficilement l'environnement scolaire.
A la fin décembre 1882,
Gide découvre l'inconduite conjugale de sa tante Mathilde et les
souffrances que cela occasionne chez sa cousine Madeleine, plus âgée
de lui de trois ans, ce qui lui fait prendre conscience des
sentiments qu'il éprouve pour elle.
En octobre 1888, Gide
étudie la philosophie au lycée Henri IV et sympathise avec Léon
Blum. L'année suivante, avec ses amis Pierre Louis, Marcel Drouin et
Maurice Quillot, il fonde la Potache-revue où il
publie ses premiers vers.
Durant l'année 1893,
André Gide connaît un bouleversement important, tiraillé entre son
éducation austère et puritaine et ses tendances homosexuelles.
Ainsi, lors d'un voyage en Afrique, connaît-il sa première
expérience homosexuelle et rompt avec son puritanisme. En 1895, il
se fiance malgré tout avec sa cousine Madeleine Rondeaux. Le mariage
est célébré début octobre 1895.
En 1897, Gide participe
régulièrement à L'Ermitage et ceci jusqu'en 1906,
date de la disparition de la revue. En 1898, suite à l'article dans
L'Aurore de Zola, « J'accuse », André Gide
prend parti pour les dreyfusards. En février 1900, André Gide
commence à collaborer à la Revue Blanche.
Le 15 novembre 1908,
paraît le numéro zéro de la Nouvelle Revue Française qu'il
fonde avec quelques amis – Michel Drouin, Jacques Copeau, Henri
Ghéon, Eugène Montfort, André Ruyters et Jean Schlumberger. Cette
revue impose peu à peu une école de la rigueur et du classicisme
avec des écrivains comme Gide lui-même, Proust ou Martin du Gard
par exemple.
En 1909, commence la
parution de la Nouvelle Revue Française. Gide publie La porte
étroite qui paraît en volume en mai au Mercure de France.
En 1912, André Gide
voyage en Italie où il écrit Les caves du Vatican. En 1914,
Gide se fâche avec son ami Paul Claudel qui est choqué par un «
passage pédérastique » des Caves des Vatican. Le livre
obtient un grand succès. En 1916, Gide entre dans une longue crise
religieuse et morale qu'il relate dans le Cahier vert
sous le titre « Numquid et tu... ? ». Cette année là,
sa femme découvre la vie secrète de son époux. En 1918, il annonce
à sa femme qu'il ne désire plus vivre avec elle.
En 1922, Gide passe l'été
en compagnie du couple Van Rysselberghe et leur fille Elisabeth qui
lui donne une fille le 18 avril 1923. Il ne l'adoptera qu'en 1938
après la mort de son épouse Madeleine.
En 1925, Gide succède à
Anatole France à la « Royal Society of Literature » de Londres
mais il en sera exclu suite à ses prises de positions
pro-communistes. Gide s'intéresse de plus en plus à l'U.R.S.S. et
publie dans la Nouvelle Revue Française des fragments de son
journal révélant son intérêt pour la cause du communisme et sa
sympathie pour Staline. En 1934, il entre au Comité de vigilance des
écrivains antifascistes. En 1936, il est invité par le gouvernement
soviétique et prononce sur la Place Rouge à Moscou un discours. En
1938, le dimanche de Pâques, Madeleine décède.
En 1940, le 14 juin il
approuve dans son journal l'allocution du maréchal Pétain mais le
24 juin, il se rallie au général De Gaulle. En 1941, Gide rompt
avec la Nouvelle Revue Française entrée dans la voie de la
collaboration. En 1947, il est reçu Docteur Honoris Causa de
l'Université d'Oxford et le 13 novembre il reçoit le Prix Nobel de
littérature.
Gide décède quatre ans
plus tard le 19 février 1951. Les obsèques religieuses ont lieu, à
la demande de la famille de son épouse, à Cuverville.
André Gide est l'auteur de : L'immoraliste (1902), Le
retour de l'enfant prodigue (1907), La porte étroite
(1909), Souvenirs de la Cour d'Assises (1914), Les caves du
Vatican (1914), La symphonie pastorale
(1919), « Numquid et tu... ? » (1922), Les
faux-monnayeurs (1925), Le journal des faux monnayeurs
(1926), Les nouvelles nourritures (1935), Pages de Journal
1939-1942 (1944), Souvenirs littéraires et problèmes actuels
(1946), Le procès (1947), Anthologie de la Poésie
française (1949).
Résumé
Michel, jeune érudit de
milieu puritain, historien, épouse Marceline, après la mort de son
père, pour satisfaire à sa dernière volonté. Ce mariage est sans
amour.
Lors d'un voyage qui
conduit le jeune couple en Tunisie, Michel commence à souffrir de
tuberculose et une crise particulièrement violente le laisse entre
la vie et la mort. A partir de ce moment là, Michel, qui avait
négligé son corps en faveur de l'étude, entame une métamorphose
progressive qui commence par une négation de l'esprit au profit du
corps, corps qu'il se force à nourrir et à exercer pour le sortir
de la maladie. Cette métamorphose se poursuit par une remise en
question de tout ce qui lui a été inculqué dans sa jeunesse:
l'austérité protestante de sa mère, le goût pour un passé qu'il
trouve à présent figé et sans intérêt et plus généralement la
morale et la culture, culture qui pour lui étouffe l'instinct
primitif de vie. Il guérit progressivement en voyageant à travers
l'Afrique et retrouve en même temps que la santé le goût de la vie
et du plaisir.
Cette libération
sensuelle va de pair avec l'affranchissement de tout conformisme. Il
entretient une relation protectrice avec un jeune Arabe enclin au
vol, dont il admire l'absence de sens moral. Il cherche à cultiver
et exalter cette disposition.
Michel veut en effet voir
triompher la vie, cette vie qu'il manque de perdre, et peu à peu sa
transformation fait de lui un immoraliste, un homme qui ne vit que
pour satisfaire ses pulsions immédiates au détriment du reste, et
surtout de sa femme Marceline qui en paie le prix ultime.
De retour en France, le
couple s'installe en Normandie où Michel se repaît des vices des
paysans : « j'en venais à ne goûter plus en autrui que les
manifestations les plus sauvages, à déplorer qu'une contrainte
quelconque les réprimât. Pour un peu je n'eusse vu dans l'honnêteté
que restrictions, conventions ou peur […] J'ai les honnêtes gens
en horreur. Si je n'ai rien à craindre d'eux, je n'ai non plus rien
à apprendre. Honnête peuple suisse ! Se porter bien ne lui vaut
rien... sans crimes, sans histoire, sans littérature, sans arts...un
robuste rosier, sans épines, ni fleurs... ». « Vous aimez
l'inhumain » lui dit Marceline.
Marcelline fait alors une
fausse couche et semble dépérir. Michel décide de la faire voyager
à nouveau, en réalité plus pour satisfaire ses pulsions que pour
la guérir. D'ailleurs, en Afrique du Nord, le climat ne fait
qu'empirer l'état de Marceline. Michel, tout à ses retrouvailles
avec les jeunes Arabes, lui accorde de moins en moins d'attention.
Tel un vampire, Michel semble se repaître de la jeunesse et de la
santé de ses proches, tandis que la maladie, la vieillesse et la
laideur lui répugnent. La mort de Marceline le libère enfin des
derniers attachements qu'étaient l'amour et la fidélité.
Analyse
L'immoraliste,
publié en 1902, peut être lu comme la suite des Nourritures
terrestres, en ceci que le roman illustre les mêmes thèmes et
principes exposés dans ce dernier. Le ton en diffère cependant de
manière sensible. L'immoraliste est en effet un roman
psychologique qui dissèque dans le détail de ses paradoxes son
personnage principal, Michel. Celui-ci est constamment tiraillé par
les pulsions qu'il souhaite assouvir au mépris de l'ordre social et
moral et les difficultés qu'il rencontre malgré lui à dépasser
les limites de ce carcan. Même s'il passe souvent à l'acte, Michel
ne le revendique jamais. Alors que le personnage de Ménalque dans
Les nourritures terrestres soutenait et suivait les
mêmes principes d'affranchissement du bien et du mal, Michel ne les
suit qu'à moitié, victime des conventions.
L'immoraliste
aborde les paradoxes de la vérité et du mensonge, de l'action et de
l'éthique, de la liberté et de la responsabilité. Prenant pour
guide exclusif son instinct – l'approche de la mort avait exacerbé
surtout en lui l'instinct de la conservation – le héros devient la
cause à demi consciente de la mort de sa femme. Il l'aime pourtant
mais la vie – sa vie à lui – parle plus haut que le souci d'une
autre santé ; il sacrifie lentement à ses goûts, à ses désirs, à
ses fantaisies même, la vie de la malheureuse créature qui, moins
forte que lui, est terrassée par le mal qu'il a pu dominer. Michel
abandonne progressivement son éducation, sa moralité pour avoir
accès à des notions qui lui étaient jusqu'alors étrangères : «
la suprême liberté intérieure et extérieure ». L'immoraliste y
aspire. Il ne peut supporter la tiédeur de l'atmosphère conjugale,
il n'a que faire des joies et des soucis médiocres de la richesse,
il ne veut pas de place dans la société à aucun degré. L'égoïsme
est le plus fort, c'est-à-dire que ses pulsions, ses joies passent
avant ses devoirs de mari – privilégier la santé de sa femme –
ou bien ses devoirs de propriétaire de ferme – il préfère aider
les braconniers qui, par leurs actions, causent un tort à sa
production plutôt que de les dénoncer ceci afin de ressentir la
fièvre, l'ivresse de leurs méfaits. En vue de tout cela, il commet
un crime, mi-volontaire, mi-conscient, un crime de nécessité
instinctive. Toutefois, dans le crime il n'est pas lâche. Michel
aurait en effet pu simplement abandonner sa femme, c'eût été plus
cruel peut-être mais beaucoup moins pénible. Au lieu de cela, il
gravit à ses côtés le calvaire.
Gide trouve pour la
première fois dans L'immoraliste le style classique
qu'il gardera par la suite. Encadré par celui d'un autre narrateur –
la lettre d'un ami de Michel à un autre qui rapporte en fait un
discours oral de Michel – le récit de Michel est formé de deux
parties symétriques, l'une consacrée à sa maladie, l'autre à
celle de sa femme. Le rythme s'accélère progressivement,
accompagnant la chute de Michel. Les moments de récit à proprement
parler laissent par ailleurs une grande place à des passages de
réflexion à valeur générale qui sonnent parfois comme de
véritables sentences. La narration est en effet la plus neutre
possible, entièrement axée sur la description des actes et des
motivations de Michel.
Les points communs
existant entre le personnage principal de ce roman et André Gide,
son créateur, sont patents : le mariage et la révélation de Gide
au Maghreb en sont les exemples les plus frappants. Toutefois
l'auteur s'est toujours défendu d'avoir écrit un roman
autobiographique. Si L'immoraliste est de nos jours considéré
comme un grand classique de la littérature française, il n'a reçu
qu'un très faible succès lors de sa première publication.
L'immoraliste n'a pas été
enfant, il n'a pas eu de jeunesse ; toute sa passion s'est concentrée
sur des travaux d'archéologie. Son mariage est un acte de
condescendance, l'amour ne l'a jamais ému. Mais la maladie le guette
et la convalescence sous un ciel ardent éveille en lui pour la
première fois l'amour de la vie, la jouissance sensuelle de tout ce
qui l'entoure.
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