lundi 25 mai 2015

André Gide, L'immoraliste (1902)

L'auteur

André Gide (22 novembre 1869 – 19 février 1951) est né et mort à Paris. Fils unique de Juliette Rondeaux et de Paul Gide, professeur à la faculté de droit, d'origine protestante, il perd son père en octobre 1880 alors qu'il n'a pas encore douze ans. Gide est alors très affecté par cette perte. Durant son enfance, André Gide est principalement entouré de femmes – sa mère, Anna Shackleton, gouvernante de sa mère et confidente d'André Gide, les domestiques, sa tante et ses trois cousines. Gide se révèle un enfant fragile et doué qui ne supporte que très difficilement l'environnement scolaire.

A la fin décembre 1882, Gide découvre l'inconduite conjugale de sa tante Mathilde et les souffrances que cela occasionne chez sa cousine Madeleine, plus âgée de lui de trois ans, ce qui lui fait prendre conscience des sentiments qu'il éprouve pour elle.

En octobre 1888, Gide étudie la philosophie au lycée Henri IV et sympathise avec Léon Blum. L'année suivante, avec ses amis Pierre Louis, Marcel Drouin et Maurice Quillot, il fonde la Potache-revue où il publie ses premiers vers.

Durant l'année 1893, André Gide connaît un bouleversement important, tiraillé entre son éducation austère et puritaine et ses tendances homosexuelles. Ainsi, lors d'un voyage en Afrique, connaît-il sa première expérience homosexuelle et rompt avec son puritanisme. En 1895, il se fiance malgré tout avec sa cousine Madeleine Rondeaux. Le mariage est célébré début octobre 1895.

En 1897, Gide participe régulièrement à L'Ermitage et ceci jusqu'en 1906, date de la disparition de la revue. En 1898, suite à l'article dans L'Aurore de Zola, « J'accuse », André Gide prend parti pour les dreyfusards. En février 1900, André Gide commence à collaborer à la Revue Blanche.

Le 15 novembre 1908, paraît le numéro zéro de la Nouvelle Revue Française qu'il fonde avec quelques amis – Michel Drouin, Jacques Copeau, Henri Ghéon, Eugène Montfort, André Ruyters et Jean Schlumberger. Cette revue impose peu à peu une école de la rigueur et du classicisme avec des écrivains comme Gide lui-même, Proust ou Martin du Gard par exemple.

En 1909, commence la parution de la Nouvelle Revue Française. Gide publie La porte étroite qui paraît en volume en mai au Mercure de France.

En 1912, André Gide voyage en Italie où il écrit Les caves du Vatican. En 1914, Gide se fâche avec son ami Paul Claudel qui est choqué par un « passage pédérastique » des Caves des Vatican. Le livre obtient un grand succès. En 1916, Gide entre dans une longue crise religieuse et morale qu'il relate dans le Cahier vert sous le titre « Numquid et tu... ? ». Cette année là, sa femme découvre la vie secrète de son époux. En 1918, il annonce à sa femme qu'il ne désire plus vivre avec elle.

En 1922, Gide passe l'été en compagnie du couple Van Rysselberghe et leur fille Elisabeth qui lui donne une fille le 18 avril 1923. Il ne l'adoptera qu'en 1938 après la mort de son épouse Madeleine.

En 1925, Gide succède à Anatole France à la « Royal Society of Literature » de Londres mais il en sera exclu suite à ses prises de positions pro-communistes. Gide s'intéresse de plus en plus à l'U.R.S.S. et publie dans la Nouvelle Revue Française des fragments de son journal révélant son intérêt pour la cause du communisme et sa sympathie pour Staline. En 1934, il entre au Comité de vigilance des écrivains antifascistes. En 1936, il est invité par le gouvernement soviétique et prononce sur la Place Rouge à Moscou un discours. En 1938, le dimanche de Pâques, Madeleine décède.

En 1940, le 14 juin il approuve dans son journal l'allocution du maréchal Pétain mais le 24 juin, il se rallie au général De Gaulle. En 1941, Gide rompt avec la Nouvelle Revue Française entrée dans la voie de la collaboration. En 1947, il est reçu Docteur Honoris Causa de l'Université d'Oxford et le 13 novembre il reçoit le Prix Nobel de littérature.

Gide décède quatre ans plus tard le 19 février 1951. Les obsèques religieuses ont lieu, à la demande de la famille de son épouse, à Cuverville.

André Gide est l'auteur de : L'immoraliste (1902), Le retour de l'enfant prodigue (1907), La porte étroite (1909), Souvenirs de la Cour d'Assises (1914), Les caves du Vatican (1914), La symphonie pastorale (1919), « Numquid et tu... ? » (1922), Les faux-monnayeurs (1925), Le journal des faux monnayeurs (1926), Les nouvelles nourritures (1935), Pages de Journal 1939-1942 (1944), Souvenirs littéraires et problèmes actuels (1946), Le procès (1947), Anthologie de la Poésie française (1949).

Résumé

Michel, jeune érudit de milieu puritain, historien, épouse Marceline, après la mort de son père, pour satisfaire à sa dernière volonté. Ce mariage est sans amour.

Lors d'un voyage qui conduit le jeune couple en Tunisie, Michel commence à souffrir de tuberculose et une crise particulièrement violente le laisse entre la vie et la mort. A partir de ce moment là, Michel, qui avait négligé son corps en faveur de l'étude, entame une métamorphose progressive qui commence par une négation de l'esprit au profit du corps, corps qu'il se force à nourrir et à exercer pour le sortir de la maladie. Cette métamorphose se poursuit par une remise en question de tout ce qui lui a été inculqué dans sa jeunesse: l'austérité protestante de sa mère, le goût pour un passé qu'il trouve à présent figé et sans intérêt et plus généralement la morale et la culture, culture qui pour lui étouffe l'instinct primitif de vie. Il guérit progressivement en voyageant à travers l'Afrique et retrouve en même temps que la santé le goût de la vie et du plaisir.

Cette libération sensuelle va de pair avec l'affranchissement de tout conformisme. Il entretient une relation protectrice avec un jeune Arabe enclin au vol, dont il admire l'absence de sens moral. Il cherche à cultiver et exalter cette disposition.
Michel veut en effet voir triompher la vie, cette vie qu'il manque de perdre, et peu à peu sa transformation fait de lui un immoraliste, un homme qui ne vit que pour satisfaire ses pulsions immédiates au détriment du reste, et surtout de sa femme Marceline qui en paie le prix ultime.

De retour en France, le couple s'installe en Normandie où Michel se repaît des vices des paysans : « j'en venais à ne goûter plus en autrui que les manifestations les plus sauvages, à déplorer qu'une contrainte quelconque les réprimât. Pour un peu je n'eusse vu dans l'honnêteté que restrictions, conventions ou peur […] J'ai les honnêtes gens en horreur. Si je n'ai rien à craindre d'eux, je n'ai non plus rien à apprendre. Honnête peuple suisse ! Se porter bien ne lui vaut rien... sans crimes, sans histoire, sans littérature, sans arts...un robuste rosier, sans épines, ni fleurs... ». « Vous aimez l'inhumain » lui dit Marceline.

Marcelline fait alors une fausse couche et semble dépérir. Michel décide de la faire voyager à nouveau, en réalité plus pour satisfaire ses pulsions que pour la guérir. D'ailleurs, en Afrique du Nord, le climat ne fait qu'empirer l'état de Marceline. Michel, tout à ses retrouvailles avec les jeunes Arabes, lui accorde de moins en moins d'attention. Tel un vampire, Michel semble se repaître de la jeunesse et de la santé de ses proches, tandis que la maladie, la vieillesse et la laideur lui répugnent. La mort de Marceline le libère enfin des derniers attachements qu'étaient l'amour et la fidélité.

Analyse

L'immoraliste, publié en 1902, peut être lu comme la suite des Nourritures terrestres, en ceci que le roman illustre les mêmes thèmes et principes exposés dans ce dernier. Le ton en diffère cependant de manière sensible. L'immoraliste est en effet un roman psychologique qui dissèque dans le détail de ses paradoxes son personnage principal, Michel. Celui-ci est constamment tiraillé par les pulsions qu'il souhaite assouvir au mépris de l'ordre social et moral et les difficultés qu'il rencontre malgré lui à dépasser les limites de ce carcan. Même s'il passe souvent à l'acte, Michel ne le revendique jamais. Alors que le personnage de Ménalque dans Les nourritures terrestres soutenait et suivait les mêmes principes d'affranchissement du bien et du mal, Michel ne les suit qu'à moitié, victime des conventions.

L'immoraliste aborde les paradoxes de la vérité et du mensonge, de l'action et de l'éthique, de la liberté et de la responsabilité. Prenant pour guide exclusif son instinct – l'approche de la mort avait exacerbé surtout en lui l'instinct de la conservation – le héros devient la cause à demi consciente de la mort de sa femme. Il l'aime pourtant mais la vie – sa vie à lui – parle plus haut que le souci d'une autre santé ; il sacrifie lentement à ses goûts, à ses désirs, à ses fantaisies même, la vie de la malheureuse créature qui, moins forte que lui, est terrassée par le mal qu'il a pu dominer. Michel abandonne progressivement son éducation, sa moralité pour avoir accès à des notions qui lui étaient jusqu'alors étrangères : « la suprême liberté intérieure et extérieure ». L'immoraliste y aspire. Il ne peut supporter la tiédeur de l'atmosphère conjugale, il n'a que faire des joies et des soucis médiocres de la richesse, il ne veut pas de place dans la société à aucun degré. L'égoïsme est le plus fort, c'est-à-dire que ses pulsions, ses joies passent avant ses devoirs de mari – privilégier la santé de sa femme – ou bien ses devoirs de propriétaire de ferme – il préfère aider les braconniers qui, par leurs actions, causent un tort à sa production plutôt que de les dénoncer ceci afin de ressentir la fièvre, l'ivresse de leurs méfaits. En vue de tout cela, il commet un crime, mi-volontaire, mi-conscient, un crime de nécessité instinctive. Toutefois, dans le crime il n'est pas lâche. Michel aurait en effet pu simplement abandonner sa femme, c'eût été plus cruel peut-être mais beaucoup moins pénible. Au lieu de cela, il gravit à ses côtés le calvaire.

Gide trouve pour la première fois dans L'immoraliste le style classique qu'il gardera par la suite. Encadré par celui d'un autre narrateur – la lettre d'un ami de Michel à un autre qui rapporte en fait un discours oral de Michel – le récit de Michel est formé de deux parties symétriques, l'une consacrée à sa maladie, l'autre à celle de sa femme. Le rythme s'accélère progressivement, accompagnant la chute de Michel. Les moments de récit à proprement parler laissent par ailleurs une grande place à des passages de réflexion à valeur générale qui sonnent parfois comme de véritables sentences. La narration est en effet la plus neutre possible, entièrement axée sur la description des actes et des motivations de Michel.

Les points communs existant entre le personnage principal de ce roman et André Gide, son créateur, sont patents : le mariage et la révélation de Gide au Maghreb en sont les exemples les plus frappants. Toutefois l'auteur s'est toujours défendu d'avoir écrit un roman autobiographique. Si L'immoraliste est de nos jours considéré comme un grand classique de la littérature française, il n'a reçu qu'un très faible succès lors de sa première publication.

L'immoraliste n'a pas été enfant, il n'a pas eu de jeunesse ; toute sa passion s'est concentrée sur des travaux d'archéologie. Son mariage est un acte de condescendance, l'amour ne l'a jamais ému. Mais la maladie le guette et la convalescence sous un ciel ardent éveille en lui pour la première fois l'amour de la vie, la jouissance sensuelle de tout ce qui l'entoure.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.